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Vestiges de guerre : Ouganda et l’armée de résistance du seigneur

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En 1986, en Ouganda, naît l’armée de résistance du seigneur. Groupe armé suivant dix commandements fixés par son leader, la LRA (Lord’s Resistance Army en anglais) fit plus de 100 000 morts en 25 ans. Pendant cette même période, entre 60.000 et 100.000 personnes furent enlevées et plus de 2,5 millions fuirent leur terre natale. Engendrant un conflit de trente-cinq ans, ces évènements bouleversent aujourd’hui encore le pays.

Vestiges de guerre : Ouganda et l’armée de résistance du seigneur
Photo par Denis Onyango. Monument en hommage aux femmes et hommes ayant défendu leur communauté contre la LRA.

Conflit et maltraitance infantile en Ouganda

Les auteurs Nyangoma, Ebila & Omona démontrent les conséquences directes du conflit sur la maltraitance infantile dans le nord du pays. Composé de sociétés traditionnellement patriarcales, au sein desquelles l’homme conserve un rôle de protecteur et la femme celui de mère, le conflit percuta les capacités de chacun à remplir ses propres fonctions sociétales. Pendant le conflit, les femmes remplacèrent les hommes dans l’apport de ressources à la famille.  La perte de terres, quant à elle, aggrava le niveau pauvreté. Conséquence de traumatismes de guerre et de cette incapacité à remplir leur fonction, une partie des hommes se tourne désormais vers l’alcoolisme et la polygamie. Selon les auteurs, ces choix entraineraient le désintérêt des hommes vis-à-vis de leurs enfants, ainsi que celui des femmes, insatisfaites de leur mariage.

Ces enfants, eux-mêmes traumatisés par les violences, sont oubliés ou laissés de côté. Ils perdent ainsi, partiellement ou totalement, le soutient parental dans des sujets tels que l’accès à l’éducation, à la santé, à la nutrition, ou à l’hébergement. Dans les couples remariés, l’attention est souvent donnée aux enfants du conjoint, afin de préserver la tenure du mariage, gratifiant les femmes d’un statut social respecté.

Les enfants de la LRA 

À cette maltraitance s’ajoute la stigmatisation des enfants nés de l’armée de résistance du seigneur. En effet, ce furent près de 24 000 enfants, âgés de 7 à 17 ans, qui furent enlevés pendant le conflit. Pendant que les garçons étaient entrainés au combat, les filles devinrent épouses de combattants. Certaines devinrent  elles-mêmes des enfants-soldat. Ces jeunes filles donnèrent naissance à des enfants, dont une majorité sortie du conflit âgée de plusieurs années, rendant impossible leur reconnaissance officielle. Selon la loi en Ouganda, un enfant ne peut être déclaré que dans un laps de temps allant de la naissance à 90 jours. Considérés comme les enfants des rebelles, ces derniers sont rejetés par les familles de leurs parents, quand ils savent où les trouver. Exilés aux marges de la société, malgré les aides des ONG, c’est seul qu’ils doivent parfois œuvrer pour subvenir à leurs propres biens.

Des ex-combattants pardonnés ou presque

Une majorité des ex-combattants est de descendance Acholi, ethnie regroupée dans le nord de l’Ouganda. Lorsque ces communautés refusèrent de prendre le parti de la LRA, le groupe se tourna contre elles. Les incendies intentionnels, les pillages, les conscriptions forcées et les massacres de civils devinrent ainsi réguliers. Finalement, vint la fin du conflit. Au début des années 2000, le gouvernement proposa des amnisties à tout combattant armé souhaitant se rendre. Plus de 5000 anciens membres de la LRA reçurent « un certificat de pitié/pardon ». De nouvelles lois furent promulguées afin de prévenir le possible harcèlement de ces retournés, visant leur réintégration au sein de ces mêmes communautés qu’ils avaient au préalable violentées. Demandant aux locaux de faciliter leur adaptation, elles furent perçues, selon Grace Akello, comme une obligation de pardon des violences commises.

Toute réparation, compensation ou responsabilité légale fut ainsi vue comme possible entrave à la paix par les autorités. En conséquence, elles menacèrent toute voix pouvant se lever contre l’intégration de ces anciens combattants. Le gouvernement offrit également aux anciens membres des paquets de réinstallation, aide qu’aucune victime ne reçut et qui accrut les sentiments d’injustice. Aujourd’hui encore, ces sentiments ressortent et ancrent le passé dans le présent. Ces anciens combattants, dont une partie fut enlevée et forcée au combat, sont quotidiennement insultés, volés, ridiculisés, mis aux marges de la société, et blâmés pour les infortunes des villages. Certains sont parfois tués. Ces actes de résistance sont, pour ces anciennes victimes, une manière d’engager la responsabilité de leurs anciens agresseurs.

Conclusion

Bien que le conflit lui-même soit terminé, des séquelles restent présentes au sein de communautés divisées et accroît la vulnérabilité de certains groupes. Le cas de l’Ouganda nous invite à considérer l’importance des mécanismes de justice transitionnelle et des conséquences trop vite oubliées qu’un conflit puisse avoir sur le long terme.

Sources

Grace Akello, Reintegration of Amnestied LRA Ex-Combatants and Survivors’ Resistance Acts in Acholiland, Northern Uganda, International Journal of Transitional Justice, Volume 13, Issue 2, July 2019, Pages 249–267, https://doi.org/10.1093/ijtj/ijz007

Anicent Nyangoma, F. Ebila & J. Omona (2021) Gender differentiated perceptions held for triggers of child neglect in post-conflict northern Uganda, Journal of Gender Studies, 30:4, 440-451, DOI: 10.1080/09589236.2021.1882295

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Gabrielle FRANCK

Gabrielle FRANCK est étudiante de niveau master, poursuivant un double diplôme «International Relations and Politics and Public Administration» dans les universités partenaires Charles (Prague) et Konstanz (Allemagne).

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