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L’or au Sahel, une opportunité menaçante ? (2/2)

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L’or et son exploitation est une pierre angulaire de la richesse au Sahel. Elle offre des opportunités stratégiques sur le plan économique et sociétale. Néanmoins la région reste largement menacée par des groupes terroristes, qui entravent les possibilités de développement des pays.

La lutte contre le terrorisme dans la région a donné lieu à plusieurs initiatives s’appuyant sur l’Union africaine ainsi que sur des partenaires de longue date, comme la France, notamment dans le cadre du G5 Sahel. Cependant, l’absence de résultats probants en matière de sécurité a poussé les décideurs de la région sahélienne à se tourner progressivement vers de nouveaux acteurs, tels que le groupe Wagner, pour garantir leur sécurité. Ce groupe, soutenu par l’État russe, joue un rôle clé dans une stratégie hybride visant à remettre en question l’ordre géopolitique établi.

Une stratégie « sécurité contre ressources »

Présent depuis 2017 sur le continent africain, le groupe Africa Corps continue d’étendre son influence.

L’ouverture du champ sécuritaire a permis au groupe Wagner de s’affirmer comme un acteur de la lutte anti-impéraliste et anti-terroriste tout en étendant son influence au Sahel. Présent depuis 2017 en Afrique, le groupe militaire privé opère dans plusieurs secteurs tels que l’entrainement militaire, les services de propagande ou la sécurité des régimes en place. Pour financer ses actions, le groupe Wagner a développé une stratégie basée sur le paiement ou l’accès aux ressources naturelles et stratégiques, comme l’or.

Le Soudan a été le premier à s’engager dans un tel partenariat. Le groupe Wagner y a déployé 500 hommes en 2017, pour contenir l’opposition au régime. À titre de paiement, M. Evgueni Prigojine a reçu les droits d’exploitation de mines aurifères via la société M-INVEST. Une stratégie qui à la fois permit au groupe de développer des financements mais également une capacité logistique d’exploitation minière. Plus extensivement, l’exploitation aurifère aurait rapporté environ 114 millions de dollars par mois au groupe privé, selon le Blood Gold Report.

Mais l’enrichissement stricte du groupe n’est pas sa seule ambition qui justifie sa volonté d’accès à l’or. Les liens ouvertement reconnus entre Wagner et la Russie faisaient entendre que le groupe poursuivait des objectifs annexes. Désormais entièrement contrôlé par la Russie, le groupe apparaît comme un maillon d’une stratégie globale.

D’or et d’argent

Depuis l’invasion en Ukraine, l’or est devenu un élément clé de la stabilité russe. Le contrôle de cette ressource lui permet non seulement de stabiliser son économie, mais aussi d’échapper aux sanctions internationales. Dans ce contexte, l’exploitation aurifère exercée par le groupe Wagner, renommé Africa Corps, a généré un revenu de 2,5 milliards de dollars depuis 2022 en Afrique. En produisant 324,7 tonnes d’or en 2023, la Russie est devenue le deuxième plus grand producteur mondial d’or. Cette ressource constitue une contribution majeure au financement de ses ambitions militaires. Ce contrôle de l’or est d’autant plus crucial pour l’économie russe que, en 2022, le pays avait établi un lien entre le rouble et l’or, retrouvant ainsi une parité rouble-or.

Ce lien entre l’or et l’économie positionne le groupe Africa Corps comme un élément central d’une stratégie hybride russe. Mais son intérêt s’étend à d’autres domaines. L’accès à la région sahélienne, et au continent africain, engendre également d’autres bénéfices. Le retrait de rivaux stratégiques permet désormais à la Russie de s’établir comme alternative à l’Occident. En usant d’une stratégie par « proxy », elle évite de s’impliquer directement, tout en capitalisant sur un narratif anti-impéraliste dont elle apparaît comme le fer de lance.

Une position qui permet également à la Russie d’être un partenaire sécuritaire central. Entre 2013 et 2021, les revenus des ventes d’armes entre la Russie et les pays du continent africain ont rapporté plus de 20 milliards de dollars. Devançant la Chine, la Russie exporte majoritairement vers l’Angola, le Nigéria et le Mali. Trois pays sujets à des déstabilisations ou des conflits avec des groupes terroristes, ayant vu la présence de mercenaires russes sur leurs territoires. Particulièrement sujet à des instabilités, l’ouverture du marché sahélien laisse entrevoir de nouvelles opportunités.

Africa Corps et continent Africain: des liaisons dangereuses

S’appuyant sur la lutte contre le terrorisme pour étendre son influence, le groupe Africa Corps n’a cependant pas enregistré de résultats significatifs dans ce domaine. Selon le dernier rapport du Counter Extremism Project (CEP), une augmentation des violences extrémistes dans la région a été observée, accompagnée d’une hausse du nombre de terroristes. Le groupe privé a également été impliqué dans des agressions contre des civils au Sahel. De plus, les forces nationales qui collaborent avec Africa Corps ont été accusées de torture, de viol et de pillage. La situation régionale montre une escalade de la violence extrémiste et une augmentation du recrutement terroriste depuis l’arrivée du groupe mercenaire.

Une inefficacité qui laisse présager une poursuite, voire une aggravation, du terrorisme dans la région. Toutefois, l’instabilité représente autant d’opportunités au plan local, qui permettront d’accéder à des ressources stratégiques. Ces ressources sont d’autant plus critiques qu’elles soutiennent l’effort de guerre et l’ambition de recomposition géopolitique favorable à la Russie. Néanmoins, la région pourrait sombrer dans une insécurité croissante, entraînant une spirale de violence à même de renforcer les groupes terroristes.

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Florian Guéneau

Diplômé en psycho-criminologie et étudiant à l'IRIS, au sein du parcours Sécurité, Défense et Gestion de Crise, je suis intéressé par les questions de géopolitique du terrorisme et de défense, ainsi qu'aux questions d'influence et de diplomatie.

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