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Le Chili, colosse aux pieds de cuivre

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Porté pendant de nombreuses décennies par sa production de cuivre dont il est le leader mondial, le Chili pâtit depuis 2014 de la chute des cours : le climat social y est de plus en plus tendu, et sa présidente Michelle Bachelet vit une fin de mandat difficile. Le pays peut-il sortir de cette dépendance ou est-il condamné à espérer une hausse des prix pour relancer sa croissance ?

Vue aérienne de la mine de Chuquicamata, plus grande mine de cuivre au monde.

C’est à la fin du XIXe siècle que le Chili est devenu une grande puissance minière. À la suite de la guerre du Pacifique (1879-1884) contre la Bolivie et le Pérou, ce pays a ainsi acquis de nombreux territoires dans le désert d’Atacama, d’Antofagasta à Arica, entraînant également la perte l’accès à Océan de la Bolivie, ce qui continue de peser sur leurs relations bilatérales. Le Chili exploita d’abord les grandes quantités de nitrates présentes dans le désert – qui octroieront la moitié de ses revenus jusqu’à l’arrêt de sa production en 1929 – avant de miser sur le cuivre, dont il possède les premières réserves mondiales. De plus, sa façade maritime sur l’Océan Pacifique lui a permis d’exporter facilement ces ressources à travers la planète. Cette configuration géographique attira les capitaux étrangers, en particulier européens puis nord-américains, qui entrèrent en concurrence pour l’exploitation de ces richesses. Les mines de cuivres chiliennes furent nationalisées par Salvador Allende en 1971, nationalisation qui ne sera pas remise en cause par Pinochet malgré ses orientations néo-libérales, qui créera CODELCO (Corporación Nacional del Cobre del Chile). Ces mesures permirent au Chili de profiter pleinement des revenus du cuivre et de se développer plus rapidement que ses voisins : avec un IDH de 0,832, il est le second pays le plus développé d’Amérique-Latine avec l’Argentine (0,836). Aujourd’hui, le tiers de la production mondiale de cuivre vient du Chili avec plus de 5,5 millions de tonnes extraites chaque année, en particulier depuis la mine de Chiquicamata.

Santé, éducation, forces armées : la dépendance chilienne au cuivre

Le secteur minier est primordial au Chili, dans la mesure où il pèse pour 20% du PIB et 50% des exportations du pays. Les profits de CODELCO sont reversés à l’État, soit environ 10% de son budget annuel : l’État Chilien est dépendant de la bonne santé du marché mondial du cuivre. Évidemment, si le Chili n’est pas autant dépendant du cuivre que ne l’est le Venezuela du pétrole, le poids considérable de cette industrie dans l’économie du pays peut s’avérer problématique. Ainsi, le pays souffre d’une baisse mondiale des cours du cuivre, liée à un recul de la demande chinoise : le prix de la tonne est ainsi passé de 7121 $ en juillet 2014 à 4758 $ en octobre 2016. Cette chute brutale a directement affecté son économie : d’un rythme de 4 à 5% annuel, la croissance du pays a chuté à 1,9% en 2014, 2% en 2015 et 1,7% en 2016. Pour la première fois de son histoire, CODELCO a subit des pertes nettes à plus de de 2.2 milliards de dollars sur l’année 2015, son président lançant : « il n’y a pas un putain de peso » en août 2016, une formule choc illustrant la gravité de la situation de l’entreprise.

Au Chili, il existe une « loi réservée du cuivre » : 10% des ventes sont allouées au financement de l’armée, soit la majeure partie de l’argent reçu par l’État. Si cette loi a permis au Chili d’acquérir le meilleur équipement militaire du continent sud-américain, cette primauté du budget militaire s’est faite au détriment d’autres secteurs, comme l’éducation ou la santé. Le cas de l’éducation est le plus connu, puisque l’Université est payante et relativement chère par rapport au revenu médian, ce qui explique les manifestations d’étudiants depuis de nombreuses années, ces derniers refusant de s’endetter sur vingt ans pour avoir accès à l’enseignement supérieur. Or, les blocages d’Universités retardent les programmes, allongeant la durée des cursus de plusieurs années et obligeant les étudiants à s’endetter encore plus pour terminer leurs études … La présidente Michelle Bachelet, élue pour un second mandat en 2013, avait promis la gratuité de l’éducation supérieure, mais si certains étudiants ont pu avoir accès à la gratuité ce n’est pas le cas de tous. D’où une vive remise en cause de la loi réservée du cuivre par l’opinion, en particulier depuis que des cas de détournements de ces fonds par des militaires à des fins d’enrichissement personnel. Ces éléments ont durci le climat social dans le pays : la coalition de Bachelet s’est inclinée lors dernières municipales et le président de CODELCO a reçu un engin explosif à son domicile le 12 janvier.

Toutefois, 2017 pourrait signifier un léger rebond pour l’économie chilienne, avec une hausse du cuivre à 5883 $ la tonne en ce début d’année. Mais on le voit bien, le développement intérieur du pays à moyen terme sera lié à sa capacité de diversifier son économie pour être moins dépendant vis-à-vis de son secteur minier, ainsi qu’à une meilleure attribution des revenus liées à ses exportations.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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