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Crise des Rohingyas : un accord avec le Bangladesh qui laisse peu d’espoir

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Il s’agit de l’exode le plus important et le plus rapide depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 600 000 Rohingyas, minorité musulmane de la province de Rakhine[1], ont fui le Myanmar depuis août dernier vers le Bangladesh voisin. Dans des camps insalubres, la population fait face aux épidémies et aux blessures psychologiques douloureuses. Jeudi 23 novembre, sous la pression de la communauté internationale, un accord de rapatriement a été conclu entre les gouvernements birman et bangladais. Mais l’attitude fermée de la junte militaire birmane et le contexte socio-politique de cette crise rendent l’avenir des Rohingyas incertain.

Le rapatriement des Rohingya au Myanmar s'annonce délicat.Suite à l’adoption à l’unanimité par l’ONU, le 8 novembre, d’une déclaration condamnant les violences de l’armée birmane à l’encontre des Rohingyas, le Myanmar avait rétorqué que cette crise était un « problème régional, et seulement régional. Et qui doit se régler à deux, avec le Bangladesh ». En effet, le gouvernement a fermé l’accès à la province de Rakhine et a très peu communiqué sur l’accord signé jeudi dernier. Il devrait permettre aux Rohingyas de revenir sur le sol birman à la condition de détenir des papiers prouvant leur droit de résidence sur le territoire. Cependant, combien auront pu emporter ces documents, s’ils n’ont pas été détruits au cours des violences, dans leur fuite en urgence ?

Une appartenance à la « race nationale » birmane inenvisageable

Les Rohingyas sont considérés comme des étrangers par le gouvernement birman depuis l’indépendance de 1948 – la nationalité birmane leur a été réellement retirée en 1982 – qui estime que la majorité de cette communauté est arrivée avec la colonisation britannique du XIXe siècle, et n’appartient donc pas aux « races nationales » officielles. Mais à l’origine, l’animosité envers ces Indiens en provenance du Bengale, musulmans, se trouve dans la lutte pour les ressources. Ces derniers ont longtemps été accusés de monopoliser les terres les plus riches, encouragés par les Anglais. Cela, ajouté au lien fort entre bouddhisme et politique en Asie du Sud-Est[2], a discriminé une minorité qui fut persécutée et contrainte à des exils au cours des dernières décennies.

Un contexte social de peur de l’islam s’est progressivement construit, ajouté aux considérations historiques qui rejettent systématiquement la possibilité d’une appartenance nationale des Rohingyas. Il faut garder à l’esprit que le gouvernement birman  présente les violences récentes comme une répression anti-terroriste et anti-islamiste, suite aux attaques de postes de police du 25 août dernier par l’ASRA – Armée de Secours des Rohingyas de l’Arakan – événements qui ont engendré la crise actuelle et un ressentiment au sein de la population.  Le chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, a d’ailleurs déclaré que l’accord de rapatriement devait être acceptable pour les réfugiés « mais surtout pour la population locale, les vrais citoyens birmans », à savoir les habitants non-musulmans de Rakhine. Il est donc difficile d’envisager une résolution satisfaisante de ces tensions sur une base qui demeure discriminante. En témoignent les camps de réfugiés au Bangladesh, où les exilés ont retrouvé d’autres Rohingyas, issus de multiples exodes précédents. En n’adoptant pas une vraie politique d’intégration et d’acceptation de cette minorité, le Myanmar prend le risque d’accentuer les considérations rancunières et xénophobes de sa population, dans un pays où 90 % des 60 millions d’habitants sont bouddhistes.

Aung San Suu Kyi, une figure aux positions ambiguës

Beaucoup d’espoirs se plaçaient en la personne d’Aung San Suu Kyi,  qui occupe aujourd’hui les fonctions de conseillère d’État, Ministre des Affaires étrangères et Porte-parole du gouvernement. Prix Nobel de la Paix en 1991, elle a constitué une figure de l’opposition à la dictature militaire du pays. Mais elle a récemment provoqué le débat au sein de la communauté internationale en ne condamnant pas ouvertement les violences faites aux Rohingyas, et en tardant à agir. Néanmoins, il faut considérer le fait que l’armée a conservé la main sur les ministères clés du pays[3], malgré son retrait en 2011, et il faut donc composer avec ce pouvoir intransigeant. De plus, Aung San Suu Kyi est une porteuse convaincue du nationalisme birman anti-colonial et une fervente bouddhiste. L’image de Rohingyas étrangers arrivés en période de colonisation – même s’il est établi que des musulmans étaient présents en territoire birman au moins depuis le XVe siècle – font que la dirigeante politique ne peut se prononcer trop ouvertement en leur faveur. Elle se positionnerait ainsi à l’encontre des citoyens qui constituent sa base politique.

Cet accord bilatéral reste donc pour l’instant flou dans sa réelle contenance. La perspective d’un rapatriement apaisé relève plutôt du vœu pieu actuellement, au vu de la fermeture volontaire du gouvernement birman à toute intervention internationale et au postulat figé de ne pas considérer les Rohingyas comme des ressortissants. Un retour au pays, dans ces conditions, semble n’être qu’une transition avant une nouvelle crise. En attendant, le Bangladesh vient de décider de déplacer les réfugiés sur une île déserte, Bhashan Char, pour contrer la surpopulation des camps. Une terre de sable régulièrement inondée dans le Golfe du Bengale, qui subira de lourds travaux d’aménagement jusqu’à fin 2018 pour être rendue habitable. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, Filippo Grandi, a fortement insisté auprès du gouvernement bangladais pour que ce déplacement soit volontaire de la part des Rohingya, mais les organisations internationales demeurent très inquiètes.

[1] Il s’agit de l’appellation birmane, on peut également trouver le nom d’Arakan.

[2] En Asie du Sud-Est, l’idée qu’un dirigeant est aussi un bouddhiste est très forte. La junte militaire birmane, non religieuse, a continué après sa prise de pouvoir en 1962 d’utiliser cette influence du religieux pour construire une union nationale. Cependant, il faut préciser que le régime actuel n’utilise plus vraiment cet argument.

[3] Ministères de la Défense, des Frontières et de l’Intérieur.

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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