Les camps de rééducation chinois montrés du doigt: la fin de l’omerta ?
Les camps de rééducation par le travail de la province chinoise du Xinjiang passent généralement sous les feux des projecteurs internationaux. Entente tacite avec les pays limitrophes, dénégation du gouvernement chinois, opacité du fonctionnement des camps, tout concourt à favoriser le silence mondial à l’égard de ces installations carcérales. Cependant, la fuite au Kazakhstan de l’éducatrice pour internés, Mme Sayragul Sauytbay, et le refus de la cour de justice kazakh de l’expulser vers la Chine pourrait renverser la situation. Il s’agit de la première éducatrice à témoigner du quotidien de ces prisons extra-légales. Un mois plus tard, le 10 août 2018, un collectif international d’intellectuels lance un appel, demandant de l’ONU une enquête et des Etats-Unis des sanctions.
« Nous n’avons pas ce genre d’idée en Chine ». Cette phrase, prononcée par le Consul Général chinois au Kazakhstan en 2017, est la seule déclaration officielle relative aux camps de rééducation soupçonnés d’opérer au Xinjiang. Malgré les multiples signaux d’alerte de la presse et des témoins qui fusent du « far-west chinois » depuis 2013, le gouvernement chinois demeure muré dans le silence.
La région autonome du Xinjiang constitue une région clef pour la Chine depuis le lancement de la politique « Go West » en 2014. Ses principales villes sont des points de passage pour les nouvelles routes de la soie, le projet phare de la présidence de Xi Jinping. Région cruciale, cette province autonome est agitée par une importante mouvance indépendantiste. Plus de la moitié de la population locale est ouïghoure, une ethnie turque et musulmane. Leur intégration dans la république populaire de Chine nouvellement fondée n’a pas été un long fleuve tranquille, et les attentats séparatistes se multiplient depuis 2013. En outre, l’apparition de l’Etat Islamique et l’influence de l’islamisme d’Ouzbékistan au Xinjiang ont contribué à faire basculer certains militants politiques dans la radicalité religieuse.
Des camps d’endoctrinement politique pour faire pièce à la subversion
Outre les politiques de maintien de l’ordre par la police et l’armée ou d’accueil de populations Han pour renverser l’équilibre démographique, les autorités chinoises construisent des camps de rééducation par le travail destinés à briser la subversion en profondeur. Ces centres d’endoctrinement politique accueilleraient ou auraient accueilli entre 500.000 et un million de Ouïghours, ainsi qu’une minorité de Kazakhs, selon la commission exécutive américaine menée par Marco Rubio et Chris Smith qui décrit ce phénomène comme étant « la plus grande incarcération de masse d’une population minoritaire au monde ». En effet, cela représente de 5 à 10% de la population musulmane du pays. Selon China Human Rights Defenders et Equal Right Initiative, le nombre de détenus et d’ex-détenus s’élève à 3 millions de personnes entre 2013 et juin 2018.
Les incarcérations sont extra-légales : il n’existe ni décision de justice, ni défense, ni moyen de recours. Quant aux détenus, leur quotidien s’articule autour de cours politiques, d’étude de la pensée de Xi Jinping et de marche militaire en récitant des slogans du Parti communiste. Les bâtiments sont vétustes et empêchent toute préservation de l’intimité. La pratique de la torture est courante. Enfin, de nombreuses personnalités ouïghoures sont décédés des mauvaises conditions de traitement dans les camps de rééducation. La population visée par les arrestations comprend les individus suspectés d’avoir des pensées « politiquement incorrectes », de participer à des activités religieuses illégales, d’appartenir à une mouvance religieuse radicale ou d’avoir eu des proches précédemment incarcérés.
Des violations des droits de l’homme qui ne suscitent que de maigres indignations
Ces violations manifestes des droits de l’homme, ainsi que de certaines dispositions de jus cogens comme la pratique de la torture n’ont pas élevé de grandes protestations. D’un point de vue national, la presse et la société civile chinoises sont muselées par la censure. À l’échelle internationale, les gouvernements redoutent le vaste arsenal de mesures de rétorsion chinois destiné à punir les critiques à l’égard de la politique intérieure. Les pays turcs et musulmans d’Asie centrale, membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai et futurs bénéficiaires des nouvelles routes de la Soie préfèrent fermer les yeux. Quant à la Turquie d’Erdogan, parangon du panturquisme, quelques protestations furent émises en 2012, auxquelles le président a mis un terme trois ans plus tard afin de favoriser le rapprochement de son pays avec Pékin.
Les Ouïghours semblaient donc condamnés à subir le joug du gouvernement chinois dans l’indifférence, jusqu’à ce 17 juillet 2018. Le Kazakhstan a refusé pour la première fois l’extradition exigée par Pékin d’une ressortissante chinoise (d’ethnie kazakhe), Mme Sayragul Sauytbay, menacée d’être internée dans un camp de rééducation où elle risque la torture. Cette décision de la cour de justice kazakhe est un pied de nez inédit à la grande puissance asiatique, une bravade qui produit des effets : au début du mois d’août 2018, sous la pression d’intellectuels et de médias, l’ONU a été sommée de produire une enquête sur ces camps de rééducation et, le 11 août 2018, le comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a déclaré que: « l’affirmation selon laquelle 1 million d’Ouïghours seraient ou auraient été massivement détenus dans des camps en secret » est « crédible ».
L’intervention de l’ONU dans ce dossier pourrait peut-être permettre de rediriger les projecteurs internationaux sur ces camps extra-légaux de détention de masse où les droits fondamentaux de centaines de milliers d’individus sont systématiquement violés, dans une relative indifférence, au sein de la seconde puissance mondiale.