Quand la coopération militaire franco-allemande avance, la défense européenne piétine
Défendant une autonomie stratégique européenne militaire, la France fait figurer le projet de défense européenne parmi ses priorités. Elle place au cœur de ce projet sa coopération militaire avec l’Allemagne. Or, depuis quelques années, la France doit faire face à un pays atlantiste avec lequel la construction d’une défense européenne devient parfois presque impossible.
« A travers la construction européenne, la France vise la réincarnation et l’Allemagne la rédemption » Le grand échiquier, 1997.
Une volonté politique historique
Dès la fin de la Deuxième guerre mondiale, la France souhaite rapidement étendre la construction européenne à la défense. La Communauté Européenne de Défense (CED) émerge. En 1950, le plan Pleven propose l’institution d’une armée européenne comptant près de 100 000 hommes. Mais l’Assemblée nationale ne ratifiera jamais ce projet[1].
L’idée même d’une défense européenne est ravivée dans les sables d’Irak en 1991 : Britanniques et Français se rendent compte qu’ils sont incapables de projeter leur puissance et d’inter-opérer efficacement avec les forces américaines. Par ailleurs, pendant les guerres de Yougoslavie, les Européens constatent leur incapacité d’empêcher un génocide « à deux heures d’avion de Paris », sans l’aide des Etats-Unis. Ce constat d’une incapacité militaire renforce l’ambition d’une défense européenne forte et autonome.
Quelques années plus tard, le président Mitterrand et le chancelier Kohl lancent l’idée d’une Politique Européenne de Sécurité et de Défense Commune (PESDC) afin de doter l’Union européenne d’une capacité opérationnelle susceptible d’être déployée en dehors de l’Union.
« Nous, les Européens, devons prendre en main notre propre destin. » Angela Merkel au sommet du G7 en 2017
Aujourd’hui, l’effort d’une coopération militaire franco-allemande s’exprime majoritairement à travers l’échange d’officiers entre unités et la coopération capacitaire militaire. Toutefois, étant donnée sa politique fédérale et ses coalitions mouvantes, l’Allemagne est un partenaire qui peut être parfois versatile…
France – Allemagne : le désamour entre politique atlantiste et défense européenne
L’idée d’une défense européenne ne fait pas l’unanimité. En effet, l’Allemagne se montre rétive à dupliquer ses efforts de défense pour un projet de défense commune. Sa capacité industrielle attise l’intérêt des Français à coopérer. Pourtant, la République fédérale tourne le dos à sa tradition militariste. Tant que la crédibilité de l’Alliance atlantique sera garantie par les Américains, l’Allemagne préfèrera se ranger sous le parapluie nucléaire américain.
Aujourd’hui, la volonté politique de la France est de préserver son autonomie stratégique et de rendre l’UE actrice de sa sécurité. Grâce à ses projets de coopération, Paris maintient son armement à la pointe de la haute technologie à moindre coût en encourageant les industriels (Naval Group, Safran, Thalès, Dassault) et maintient une opérabilité réactive. Enfin, elle élève son budget de défense à 2% de son PIB (lui permettant de s’engager au Sahel) quand l’Allemagne n’atteint que 1,36% 2019, l’un des des plus faibles en Europe.
Par sa vision sécuritaire atlantiste, Berlin détricote sa coopération avec Paris
Dans le cadre de cette coopération franco-militaire, quatre programmes d’armement sont en construction :
- Le programme MGCS, dont le char de combat du futur est l’élément principal,
a pour objectif de remplacer la composante blindée en France (char Leclerc) et en Allemagne (char Leopoard 2). Une fois encore, Paris et Berlin ont des difficultés à trouver un accord. Ils signent enfin un acte après huit années de discussions.
- Le drone RPAS MALE (Medium altitude endurance) européen (porté par la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne) verra-t-il le jour ? Connaîtra-t-il un sort différent du Talarion et le Telemos , deux projets abandonnés faute d’accord entre Etats et industriels ?
- Le projet MAWS propose une coopération autour d’un avion de patrouille maritime. Seulement, Berlin semble trouver une solution transitoire auprès des USA avec le P8.
- Le système de combat du futur (SCAF) lancé en 2017 est un projet capacitaire franco-allemand (rejoint par l’Espagne). Il s’articule principalement autour d’un chasseur de sixième génération (NGF) pour remplacer le Rafale (retrait prévu en 2060) et l’Eurofighter. Ralenti par des conflits d’intérêts, le SCAF fait face à des déséquilibres entre industriels des pays partenaires, répartition des coûts et des IPR[2].
La défense européenne… dans une impasse ?
L’Allemagne ne semble pas réellement vouloir s’engager dans une politique d’armement. Ses nombreuses réticences propres à sa politique atlantiste entravent la construction d’une défense européenne. En outre, le pluralisme de plus en plus croissant des Etats-membres de l’UE bride l’avancée d’un projet commun de défense. Rien n’a été conçu pour doter l’Union d’une gouvernance nécessaire à l’expression de son ambition politico-militaire. La défense européenne pourra naître le jour où sera mise en place une instance d’arbitrage capable de prendre des décisions.
Face au réarmement du monde, «Europe must also learn the language of power», déclarait la présidente de la Commission européenne.
[1] L’alliance des gaullistes et communistes a refusé de ratifier le projet : pas d’extension de la construction européenne à la défense.
[2] Intelligence Property Rights