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Les relations saoudo-égyptiennes post-Printemps Arabe : vers un raidissement bilatéral ?

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ARAMCO, la compagnie pétrolière saoudienne l’a annoncé mi-octobre : elle ne distribuera pas de fuel à l’Egypte pour le mois d’octobre. Derrière la radicalité du geste, se cache surtout la colère saoudienne envers la position diplomatique égyptienne. En effet, l’Egypte a apporté début octobre son soutien à la résolution russe sur le dossier syrien. Pour ainsi dire, le torchon brûle entre Ryad et Le Caire et le contentieux syrien n’est qu’une énième manifestation de divergences stratégiques, divergences qui n’empêchent néanmoins pas le maintien de l’économie égyptienne sous perfusion saoudienne à coup de prêts en milliards et d’investissements. Aussi, faut-il voir dans cette décision un simple raidissement bilatéral conjoncturel ou l’amorce d’une rupture ?

Une confrontation par déclarations interposées

Le Président égyptien Sissi en visite en Arabie Saoudite en Mars dernier.
Le Président égyptien Sissi en visite en Arabie Saoudite en mars dernier.

Il est “pénible que les Sénégalais et les Malaisiens aient des positions plus proches du consensus arabe, que celle du représentant arabe”. La déclaration de l’ambassadeur saoudien au Caire commentant le soutien égyptien à la résolution russe (résolution balayée par le Conseil de Sécurité de l’ONU) sur le dossier syrien n’est pas passé inaperçue. La réponse égyptienne n’a pas tardé en la personne du Président égyptien Al-Sissi déclarant le 13 Octobre dans une attitude presque théâtrale que “l’Egypte ne s’inclinera devant personne sinon Dieu”.

Si cette confrontation résonne comme la confirmation de désaccords stratégiques, il ne faudrait pas pour autant exagérer ce raidissement tant l’axe Riyad-Le Caire reste une alliance forte dans un contexte régional instable. Avant toute analyse, il convient de dresser un historique des relations saoudo-égyptiennes voyant se découper deux périodes distinctes, l’ère nassériste et l’ère post-nassériste.

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Une relation historiquement erratique

Après l’accession au pouvoir de Nasser en Egypte en 1956 (coup d’Etat des Officiers Libres en 1952), les relations entre Riyad et le Caire vont progressivement se détériorer leur affrontement étant au centre de ce que l’historien Malcom H. Kerr a qualifié de Guerre Froide Arabe. A la source même de la rivalité, se cache une volonté d’hégémonie régionale pour deux modèles idéologiquement opposés : l’un prônant le panarabisme et le socialisme, l’autre une identité musulmane conservatiste et un rapprochement avec le bloc américain. La guerre au Yémen (1962-1970) figure ainsi comme la guerre par procuration par excellence dans cet affrontement, le pays devenant bientôt le Vietnam égyptien.

La mort de Nasser en 1970 inaugure un rapprochement avancé entre les deux pays et le début de la dépendance économique égyptienne vis-à-vis de l’Arabie Saoudite. Sous l’ère Sadate, prêts et aide financières se succèdent alors que dès 1972, les conseillers soviétiques sont priés de quitter “la mère du Monde”. Si l’accord israélo-égyptien en 1979 conduit à la rupture de leurs relations diplomatiques, l’avènement de Moubarak en 1981 est facteur de normalisation malgré des tensions toujours latentes notamment sur le soutien saoudien à des groupes islamistes considérés par l’Egypte comme potentiellement déstabilisateurs. Le soulèvement égyptien (2011) et l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans seront sources d’inquiétudes pour Riyad malgré la relation ambiguë entretenue avec le groupe islamiste.

L’axe Riyad-Le Caire post-2011, entre désaccords stratégiques et dépendance bilatérale

Le soutien au coup d’état militaire en 2011 et au maréchal Sissi marque ainsi la préférence donnée par les Saoudiens à l’ordre et la stabilité contre-révolutionnaire. Pour Sissi, l’Arabie Saoudite reste un partenaire vital pour une économie égyptienne en lambeaux et sous perfusion saoudienne. Ryad s’est ainsi  engagé notamment par la “déclaration du Caire” signée durant l’été, à une aide de dizaines de milliards de dollars sous forme de dépôts à la Banque Centrale, d’investissements et d’aides au développement en plus d’une aide pétrolière d’une durée de cinq ans. En échange, l’Egypte, outre la rétrocession promise des îles stratégiques de Tiran et Sanafir, a notamment soutenu le projet d’une “force arabe conjointe” fournissant dans le même temps un soutien militaire à la coalition en guerre au Yémen contre les rebelles houthis. Au-delà des limites des milliards saoudiens dans la reconstruction de l’économie égyptienne, il convient de remarquer la mutation de l’aide financière saoudienne donnant plus de place à des investissements plutôt qu’à des transferts financiers directs et reflétant une crise conjoncturelle du modèle économique saoudien due à une baisse continue des prix du pétrole.

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Cette dépendance bilatérale ne doit néanmoins pas cacher des désaccords stratégiques de plus en plus profonds qui trouvent leur source dans des perceptions de l’”ennemi proche” très différentes. En effet, le changement de leadership à Riyad en 2015 a marqué une priorisation accrue du “containment” du voisin iranien symbolisé par l’engagement saoudien au Yémen, la position anti-Assad de la diplomatie du royaume mais aussi un rapprochement avec la Turquie considérée par Le Caire comme le parrain des Frères Musulmans. Ce rapprochement passe mal pour l’Egypte toujours inquiète de leur potentiel déstabilisateur sur son propre sol. Sur les dossiers syriens et yéménites, Le Caire a opté pour une position pragmatique. Son hostilité pour l’Iran étant faible voire inexistante, son engagement au Yémen se limite à un soutien naval et non au sol qui provoque le ressentiment saoudien. Sur le dossier syrien, Le Caire est en faveur d’une transition politique avec Assad, inquiète des groupes islamistes ébranlant le pays. C’est dans ce même cadre qu’il faut comprendre l’appel égyptien à une intervention militaire en Libye, intervention à laquelle Ryadh préférerait une transition politique.

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Sources:

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/10/15/l-egypte-privee-de-petrole-par-l-arabie-saoudite_5014341_3218.html

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/07/12/les-pays-du-golfe-volent-au-secours-de-l-egypte_3446397_3212.html

http://www.monde-diplomatique.fr/2014/05/GRESH/50384

http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/premiers-signes-de-malaise-entre-l-egypte-et-l-arabie-saoudite-520902955

https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2016/04/25/why-two-islands-may-be-more-important-to-egyptian-regime-stability-than-billions-in-persian-gulf-aid/

http://www.nytimes.com/2012/05/06/world/middleeast/saudi-envoy-to-return-to-cairo.html?_r=1

http://fr.timesofisrael.com/topic/relations-egypte-arabie-saoudite/

http://carnegieendowment.org/sada/61661

https://www.foreignaffairs.com/articles/egypt/2015-11-24/last-alliance-standing

http://www.juancole.com/2016/04/whats-behind-egyptian-protests-over-islands-given-to-saudi-arabia.html

http://nationalinterest.org/feature/america-can-exploit-saudi-egyptian-tensions-17459

https://www.brookings.edu/on-the-record/why-saudi-arabia-loves-the-egyptian-military/

Pour aller plus loin:

-Fahad Nazer, « Saudi-Egyptians Relations at the Crossroads » The Arab Gulf States Institute in Washington 2015/10 (N°8) http://www.agsiw.org/saudi-egyptian-relations-at-the-crossroads/

-Yasmine Farouk, « L’Egypte est-elle encore une puissance régionale ? »,Confluences Méditerranée 2010/4 (N°75), p. 213-224. DOI 10.3917/come.075.0213

-Gérard Claude, « La diplomatie dans le contexte géopolitique de l’Orient arabe », Confluences Méditerranée 2008/1 (N°64), p. 129-146. DOI 10.3917/come.064.0129

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