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L’Irak face à ses démons

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Le dimanche 9 juillet 2017, le monde entier apprenait la victoire officielle des forces irakiennes à Mossoul, tenue par les djihadistes de l’État islamique (EI) depuis juin 2014. C’est une victoire certes, mais une victoire en demi-teinte. En effet, la libération de cette ville symbolique et stratégique pose de nombreuses nouvelles questions sur l’avenir de l’Irak.

Personne ne peut, aujourd’hui, avoir la prétention de déterminer que deviendra l’Irak dans quelques années, voire quelques mois. Il est cependant intéressant, et primordial, de se pencher sur les principaux acteurs qui influencent la politique irakienne aujourd’hui.

Un clivage intra-chiite

Convoi irakien lors de la bataille de Mossoul, novembre 2016

À Bagdad, deux camps se font face. D’un côté, le Premier ministre Haïder al-Abadi et son entourage cultivent une image de « chiites modérés ». Ils prônent un État de droit libéré des quotes-parts ethniques et confessionnelles, ainsi qu’un modèle politique proprement irakien. Par proprement irakien, les modérés entendent se démarquer de leurs adversaires, le camp « ultra-orthodoxe » de Bagdad, composé notamment de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki (2006-2014). Ces derniers considèrent le modèle iranien comme un système à imiter, et veulent se rapprocher de Téhéran.

Au contraire, les modérés montrent une certaine prise de distance avec l’Iran. La raison est simple. Depuis l’arrivée des chiites au pouvoir à Bagdad en 2003, de nombreux pays accusent l’Irak de n’être qu’une chasse gardée iranienne, sans réelle indépendance.

En se démarquant de Téhéran, Haïder al-Habadi s’attire la sympathie de la communauté internationale, notamment des États-Unis, et même de l’Arabie Saoudite, ennemi juré de l’Iran. Ainsi, en février Bagdad a accueilli le ministre des affaires étrangères saoudien. S’en est suivi une visite en juin 2017 de Haïder al-Habadi à Riyad.

Les sunnites marginalisés

Cependant, les conservateurs et modérés ont au moins un point en commun : ils ne comptent pas céder face aux revendications des sunnites de Mossoul. Ces derniers s’estiment marginalisés par le pouvoir central, et demandent plus d’autonomie. Ils aimeraient ainsi que le territoire autour de Mossoul, majoritairement sunnite, ait la même autonomie que leurs voisins du Kurdistan irakien. L’idée d’un grand « Sunnistan » irakien se fait de plus en plus entendre. Si cette thèse a peu de chance de voir le jour, la montée en puissance de ces revendications en dit long sur le ressenti des sunnites envers Bagdad.

Milices chiites, nouveaux acteurs

Après l’élite sunnite de Mossoul et les politiques modérés ou conservateurs de Bagdad, les milices chiites irakiennes sont également des acteurs incontournables sur le théâtre irakien. Tout commence officiellement le 13 juin 2014, trois jours après la prise de Mossoul par les djihadistes de l’EI. Le très respecté et influent ayatollah Sistani délivre alors une fatwa à leur encontre . Quelques jours plus tard, 66 organisations infra-étatiques réunies sous le nom d’« Unités de mobilisation populaire » se lancent à la reconquête du nord de l’Irak. Un bon nombre de ces organisations sont financées directement ou indirectement par l’Iran, et ont été intégrées à l’armée irakienne en 2016. En réalité, elles jouissent du soutien du gouvernement depuis bien plus longtemps, qui leur fournit armes et matériels.

Aujourd’hui, même si la plupart de ces brigades n’ont pas eu l’autorisation de participer directement à la bataille de Mossoul, elles sont très populaires chez une partie de la population irakienne. Elles sont vues comme les véritables libératrices de l’EI. Ces milices sont pourtant loin de faire l’unanimité. Les sunnites irakiens, les monarchies du Golfe ou encore des ONG comme Amnesty International les accusent d’avoir commis de nombreuses et violentes exactions contre des civils lors de la libération de la province de Ninive, autour de Mossoul.

Après avoir été au premier plan sur la scène militaire, les milices chiites pourraient bien se retrouver sur les devants de la scène politique. En effet, elles sont vues comme une alternative à la classe politique « classique » dénoncée comme corrompue et peu proche du peuple.

L’influent et indispensable Sistani

Ali Sistani joue un rôle majeur pour l’unité irakienne

L’ayatollah Sistani, d’origine iranienne mais résidant en Irak est un personnage central pour la résolution de la crise. Pratiquant un islam quiétiste, c’est-à-dire ne se mêlant pas à la politique, il est opposé à un gouvernement dirigé par des clercs. C’est notamment sur ce point qu’il se démarque des religieux iraniens, ces derniers étant beaucoup plus attachés à influencer directement la politique de leur pays. Sistani a (presque) toujours œuvré pour une unité irakienne dépassant les rivalités confessionnelles et ethniques. Cette neutralité lui a permis de se fonder une légitimité afin de calmer les ardeurs dans chaque camp. Sa parole dépasse d’ailleurs largement le cadre irakien puisqu’il est écouté par la majorité des chiites du Moyen-Orient. On remarque d’ailleurs que sa fatwa énoncée le 13 juin 2014 (voir plus haut) va à  l’encontre de ses principes. Il a en effet exprimé publiquement sa volonté politique. Preuve que l’Irak était réellement au bord du chaos il y a trois ans. Toutefois, Ali Sistani a 87 ans et l’évocation de sa disparition inquiète. L’Irak devra ainsi apprendre à faire sans lui.

Enfin, les Kurdes d’Irak comptent bien mettre en avant leur présence militaire en Irak et en Syrie, et leur précieuse aide dans la lutte contre l’EI afin de légitimer leur référendum d’autodétermination qui doit se tenir le 25 septembre.

Les divisions entre les milices chiites, les sunnites de Mossoul, les Kurdes, Sistani ou encore le gouvernement de Bagdad ne doivent pas faire oublier que la lutte contre l’EI n’est pas finie. L’organisation djihadiste possède encore des territoires. Même privée de terres, elle perdurera encore de longues années dans la clandestinité. Les divisions citées ci-dessus ne sont pas nouvelles, elles ont simplement été placées au second plan durant la lutte contre l’EI.

Bâtir un Irak fort passe par une limitation de l’ingérence étrangère, tout en ne laissant pas le pays seul face à ses démons. Un minimum de diplomatie et d’échange entre les acteurs est également indispensable. La mosaïque ethnique et confessionnelle qui compose l’Irak est sur le point d’imploser. Les millions de déplacés errant sur les routes irakiennes en sont bien la preuve. Penser que tout s’arrangera avec la disparition de l’État Islamique serait extrêmement dangereux et trompeur. Le combat est loin d’être terminé. C’est une nouvelle guerre, davantage psychologique que physique entre les différents acteurs qui se profile devant nos yeux.

 

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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