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Pierre Pahlavi : « L’Iran veut rester en Syrie »

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Pierre Pahlavi est professeur au Collège d’État major des Forces Canadiennes de Toronto. Au moment où de nouvelles sanctions économiques américaines touchent l’Iran, il analyse une politique étrangère iranienne en mutation. 

Pierre Pahlavi

YDM : Avec l’arrivée des nouvelles sanctions, comment la politique étrangère iranienne va-t-elle évoluer ?

Pierre Pahlavi : Qu’on apprécie ou pas le régime, c’est un régime prudent et pragmatique. Les Iraniens savent que ça chauffe. Ce ne sont pas des utopiques, ce sont les champions de la realpolitik. Ils savent que s’ils poussent l’enveloppe trop loin, la politique d’endiguement américaine, saoudienne et israélienne sera encore davantage musclée. Ce qu’ils veulent maintenant : maintenir leur présence en Syrie. Les Houtistes au Yémen ne sont pas prioritaires. En clair, ils ne cherchent plus à élargir géographiquement leur zone d’influence mais souhaitent renforcer leurs positions. Téhéran sait aussi que la porte avec les États-Unis s’est refermée et ne se rouvrira pas de si tôt. L’Iran est dans un cul-de-sac stratégique.

Qu’est-ce qui handicape l’Iran sur la scène internationale ?

Ce sont les sanctions économiques bien sûr, mais pas seulement. La politique d’endiguement de l’Iran, mise en place par les Saoudiens et les Israéliens est très handicapante. C’est un « multi front » qui a pour objectif d’isoler le pays et de ramener à l’intérieur de ses frontières. Après les Printemps arabes, on voyait l’Iran partout, même dans la corne de l’Afrique. La monarchie marocaine a même accusé l’Iran d’être présent au Sahara occidental ! A défaut d’être puissant au sens classique du terme, Téhéran est accusé d’être omniprésent par ses ennemis.

Comment s’annoncent les suites pour la présence iranienne en Syrie ?

La Syrie est importante pour l’Iran d’un point de vue géopolitique. C’est le premier chaînon que les Iraniens ont construit après la Révolution de 1979. Un lien qui s’est renforcé dans les années 1990. Le pays cherchait des alliés pour sortir de son isolement diplomatique. Damas est le premier canal trouvé pour développer l’influence iranienne. Aujourd’hui, l’Iran veut rester en Syrie. Ce verrou syrien est essentiel. S’il saute, l’axe stratégique s’effondre. Les stratèges iraniens en on fait un élément central avec la présence médiatisée des forces Al-Qods (les forces spéciales des Gardiens de la Révolution).

Mais la présence militaire en Syrie est de moins en moins populaire en Iran…

Oui, on l’a vu lors des manifestations qui se sont tenues dans de nombreuses grandes villes en début d’année. Des manifestants accusaient le gouvernement d’en faire davantage pour la Syrie que pour son propre peuple. La popularité de l’intervention en Syrie est restée forte jusqu’en 2017. On entendait beaucoup de discours très nationalistes, sur le rétablissement de la grandeur achéménide. Qassem Soleimani, le commandant des forces As-Qods était vu comme un héros. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Quand on ne peut plus se permettre d’acheter du thé à cause de l’inflation, on trouve que l’aventure syrienne nous coûte cher. La cause devient tout de suite moins populaire lorsque le portefeuille est touché.

Comment la Chine perçoit-elle l’Iran ?

Les Chinois veulent reconstruire la Syrie. Mais ils ont besoin d’intermédiaires et l’Inde pourrait jouer ce rôle là. New-Delhi et Pékin entretiennent des relations compliquées mais quand il s’agit d’économie, les deux peuvent être impliqués. Les stratèges chinois le disent: l’Iran est au cœur du projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie.

Comment définir les relations du triptyque Russie-Turquie-Iran ?

C’est très difficile à suivre. Erdogan rabat sans arrêt les cartes. Les Iraniens et les Turcs vont continuer à travailler ensemble notamment dans la lutte intense contre les Kurdes. La Turquie aide aussi l’Iran à contourner les sanctions. Par contre, Ankara a voulu, avec affaire Khashoggi, se remettre dans les bons papiers des occidentaux après une marginalisation depuis 2017. L’Iran est resté silencieux sur cette affaire. Erdogan a réussi à se réinsérer dans le jeu diplomatique au détriment de l’influence saoudienne et sans que cela ne bénéficie aux Iraniens pour autant.
Quand à la relation entre la Russie et l’Iran, elle est déséquilibrée. Les Russes utilisent l’Iran comme un pont pour accéder aux mers chaudes et au Moyen-Orient. Mais il n’y a aucune sympathie idéologique. Juste un mariage de raison. On a souvent l’impression que les Iraniens sont obsédés par les États-Unis mais ils sont aussi très obsédés par les Russes. Dans la psyché et la culture iranienne, la Russie pourrait détruire l’Iran. L’histoire entre les deux pays est très lourde et mouvementée. Jusque là, Poutine a été un partenaire fiable de l’Iran, mais il y aura toujours une méfiance.

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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