Proche et Moyen-Orient

Les Omeyyades : le califat sort de la péninsule arabique

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La valse des empires musulmans (1/8). La période du califat des Omeyyades (661-750) marque la sortie de l’islam de la péninsule arabique. Si l’empire s’est imposé avec une grande violence physique, la conquête religieuse est passée, elle, beaucoup plus discrètement. Ce mouvement s’inscrit également dans un effort de décentralisation qui ne s’est cependant pas révélé suffisant.

Les Omeyyades, pionniers des empires musulmans.
L’Empire omeyyade à son apogée (wikimedia).

En raison de leur rapidité et de leur efficacité, les conquêtes musulmanes du VIIe siècle sont parfois associées au mot blitzkrieg, que l’on peut traduire par « guerre éclaire ». Après la mort de Mahomet, de 636 à 642, les troupes musulmanes enchaînent victoire sur victoire contre les deux empires déclinant de la région : les Empires byzantin et sassanide, affaiblis mutuellement à force de guerres à répétition. Ainsi, en quelques années, l’Irak, la Syrie et une partie de l’Égypte tombent sous la domination des musulmans. C’est un choc brutal et fondateur, créé par une force encore inconnue, venue d’Arabie, région très marginale sur l’échiquier stratégique de l’époque.

La première fitna

Médine devient alors la capitale de ce nouveau califat Rachidun (« le califat des bien guidés ») (1). Mais, très vite, sous le règne du calife Uthman (644-665), les cités-Etats administrées par Médine se rebellent. Venus d’Égypte, des rebelles assassinent Uthman. C’est le début de la première grande crise du monde musulman, la première fitna. En effet, l’élection d’Ali, gendre et cousin du prophète, comme quatrième calife, ne fait pas l’unanimité à Médine. Certains l’accusent d’être complice du meurtre d’Uthman. C’est le début d’une division entre les partisans d’Ali, les chiites, et les partisans d’une ligne légaliste, qualifiés plus tard de sunnites.

Ali se fait assassiner à son tour en 661. Muawiya, proche parent d’Uthman et membre de la famille omeyyade, devient le nouveau calife. Il décide de déplacer la capitale du califat de Médine à Damas. C’est le début de l’Empire omeyyade.

Muawiya pose les bases de l’empire

Quand Muawiya arrive au pouvoir, il pose les bases d’un État fort autour de la personne du calife. Au cours des premières années de son règne, il s’appuie sur les chrétiens arabes pour diriger l’administration. Le nouveau calife organise un système de chouras (conseils) décentralisés, où chaque tribu peut faire remonter des revendications au conseil central de Damas.

Muawiya s’occupe aussi de l’armée en la disciplinant, il crée un système de promotion qui ne tient pas compte de la filiation mais du mérite et améliore l’armement et les tactiques de batailles. Il crée également un service postal qui se répand vite dans toutes les provinces de l’empire.

Muawiya était gouverneur de Syrie sous le règne des « bien guidés ». C’est l’une des principales raisons qui explique son choix de déplacer le siège de l’empire à Damas. Muawiya voulait s’affranchir de l’influence de l’aristocratie mecquoise et médinoise. C’était également un moyen de se placer dans le sillage de l’Empire byzantin et d’en récupérer la légitimité. A la mort de Muawiya en 680, l’empire est stable. Le calife avait habilement résolu le casse-tête de la succession en plaçant son fils au pouvoir.

Les dernières grandes conquêtes

C’est sous les Omeyyades qu’ont lieu les dernières grandes conquêtes musulmanes, qui s’étendent de l’Arménie au sud égyptien et des portes de l’Inde à la péninsule ibérique. A l’ouest, l’échec du premier siège de Constantinople (674-678) ne ralentit pas la ferveur des conquêtes qui se déplacent vers la Tripolitaine. Les premiers guerriers arabes atteignent l’océan Atlantique en 675. Certains récits racontent qu’en voyant cette nouvelle mer, les soldats poussèrent des cris de joie, pensant avoir atteint les confins de l’univers. Les arabes doivent cependant battre en retraite assez rapidement, repoussés par une forte résistance berbère.

En 711, les Omeyyades en Espagne

Une deuxième vague de conquête, plus massive, rase en 707 la vieille ville de Carthage, réputée imprenable. Grâce au génie politique d’un homme, Moussa Ibn Noseïr, qui a réussi à s’allier avec des tribus berbères en les convainquant de se convertir à l’islam (ce que les chrétiens n’avaient jamais réussi à faire), les troupes musulmanes de son général Tariq ibn Ziyad pénètrent en Espagne en 711.

A l’est, le Sind est conquis en 712. Les soldats arrivent aux portes de la Mongolie et, après la prise de villes comme Tachkent et Samarkand, l’islam se retrouve voisin de l’empire chinois. Les Chinois de la dynastie Tang sont d’ailleurs arrêtés et vaincus par les musulmans lors de la bataille de Talas, en 751. De nombreux historiens estiment que, à la suite de cette bataille, ce sont des prisonniers chinois qui ont appris aux arabes la fabrication du papier.

Une décentralisation amorcée…

Les califes sont conscients qu’une trop forte centralisation du pouvoir à Damas serait contre-productive. Ainsi, si l’islam et la langue arabe s’amorcent au début du VIIIe siècle comme religion et langue de référence, la diversité religieuse, linguistique et culturelle est grande.

Une place spéciale est réservée aux Dhimmi (« les gens du livre »), c’est à dire les juifs, chrétiens et zoroastriens. Plus tard, certains bouddhistes et hindouistes auront également droit à ce statut. Les Dhimmi paient un impôt, la djizia, mais sont protégés par l’empire et sont loin d’être marginalisés dans l’administration. Leur situation sociale est parfois très satisfaisante. Les Dhimmis étaient des éléments fondamentaux pour l’équilibre fiscal de l’empire. D’ailleurs, certains califes encourageaient leurs sujets à ne pas se convertir pour continuer à payer l’impôt !

Comme nous l’avons vu plus haut, les conseils politiques sont décentralisés et l’empire prend soin, dès le début, d’intégrer une partie de l’élite des puissances défaites dans son fonctionnement politique. Cela est fait afin d’éviter un effondrement des structures sociales et juridiques, en place dans ces régions depuis des centaines, voire des milliers d’années. Damas doit donc s’adapter aux dynamiques locales propres à chaque région.

… mais pas suffisante

Un certain nombre de facteurs précipite la chute des Omeyyades. La prédominance de la langue arabe, initiée par le calife Abd Al-Malik au début du VIIIe siècle qui souhaite arabiser son empire, crée une frustration parmi les populations converties et non-arabes. En effet, les arabes ont d’immenses avantages devant l’impôt. Le groupe social des Mawalî (clients) représente le mieux ces convertis non-arabes qui ne se sentent pas bien représentés. Parmi eux, on trouve de nombreux Persans. Les tentatives de réformes fiscales, qui commencent sous le règne du calife Umar II, ne fragilisent que davantage l’économie de l’empire.

De plus, les arabes se voient à cette époque davantage comme une classe guerrière que bureaucratique. Un nombre important se montre peu enclin à effectuer les tâches administratives et juridiques, considérées comme inférieures. D’autres groupes s’occupent donc de ces tâches, et les arabes perdent peu à peu la main sur la bureaucratie.

Enfin, la légitimité des grandes conquêtes des premières heures et la nécessite de se battre contre les chiites ne fait plus trop effet. L’empire a de plus en plus de mal à justifier sa présence dans des zones lointaines.

Le coup final est initié par une secte chiite du mouvement des Hachimiyya, créé par Muhammad al-Abbas, oncle du prophète Mahomet. Ce groupe s’appuie sur la force des Mawalî pour organiser une vaste résistance contre les Omeyyades. Les forces du califat sont définitivement écrasées après la bataille du grand Zab en 750. Cela ouvre la voie à une nouvelle dynastie, celle des Abbassides.

Un seul membre de la famille des Omeyyades parvient à échapper aux massacres. Il se réfugie à Cordoue en 756 pour y fonder un émirat indépendant. Ses descendants, en soumettant les tribus locales, fondent le califat omeyyade de Cordoue (929-1031). Aujourd’hui encore, ce dernier est réputé pour sa grande prospérité intellectuelle et économique.

(1) L’expression des « biens guidés » désigne le règne des quatre premiers califes, supposé représenter un âge d’or de l’islam. Cependant, cette expression est à relativiser. En effet, des tensions commencent à apparaître dès le règne du premier calife Abu Bakr. Cette expression est inventée sous la période du califat abbasside, qui a sans cesse cherché à décrédibiliser l’Empire omeyyade, en l’opposant à un prétendu âge d’or révolu.

Ressources:

René Kalisky, « Le monde arabe, tome 1 : essor et déclin d’un empire », Marabout université, 1968.

Jean-Pierre Luizard, « Chiites et Sunnites : la grande discorde », Collection en 100 questions, Tallandier, 2017.

Le Monde, « L’Histoire du Proche-Orient », hors-série, 2018.

Le Monde, « L’Atlas des Empires », hors-série, 2016.

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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