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Une partie de billard à trois bandes : la Russie, l’Arabie saoudite et les États-Unis en pleine crise pétrolière (2/3)

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Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’épidémie de Covid-19 devrait entraîner une chute historique de la demande mondiale de brut. La contraction pourrait ainsi atteindre les 9,3 millions de barils par jour (b/j) en moyenne cette année. Devant cet effondrement, les pays producteurs se sont entendus le mois dernier sur une baisse presque équivalente de 9,7 millions de barils. Cet accord est historique à plus d’un titre. D’une part, il porte sur un volume de réduction sans équivalent dans l’histoire des marchés pétroliers. D’autre part, et pour la première fois, c’est l’ensemble des pays producteurs de la planète qui se sont entendus sur une réduction de la production. Comment expliquer cet accord historique ? Quels en sont les enjeux pour les acteurs principaux, à savoir la Russie, l’Arabie saoudite et les États-Unis ?

Partie 2 – Riyad prise au piège de l’effondrement pétrolier 

Du fait de ses importantes réserves (17 % du total mondial) et de la qualité de son pétrole, l’Arabie saoudite fait figure de gardienne de la stabilité des marchés pétroliers. Pourtant, ce statut semble plus fragile que jamais à mesure que l’épidémie de Covid-19 progresse dans le monde. A court d’options, Riyad semble se diriger tout droit vers une crise économique majeure affectant durablement sa capacité à jouer un rôle d’équilibre sur les marchés mondiaux.

La stratégie de Riyad derrière la signature de l’OPEP+

L'alliance entre la Russie et l'Arabie saoudite était indispensable pour faire face à la poussé des producteurs non-conventionnels américains.
En décembre 2016, Riyad dut s’allier avec Moscou pour contrer la poussée des producteurs de schiste américains.

Depuis le premier choc pétrolier, l’Arabie saoudite se considère comme un producteur clé (swing producer). Pourtant, cette position exige du pouvoir saoudien une grande prudence quant à ses choix de politiques publiques.

Ainsi, si le marché pétrolier se retrouve en surcapacité, Riyad n’a que deux options sous la main. Soit elle décide de produire davantage afin de défendre ses parts de marché. Cette stratégie fut ainsi adoptée entre 2014 et 2016 peu après le boom du pétrole non-conventionnel américain. Cette option est cependant synonyme de pertes de revenus considérables pour le royaume.

Ou alors, ce dernier peut opter pour une baisse de sa production afin de faire remonter les prix. Après tout, Riyad possède la capacité technique et les dispositions géologiques pour mettre en œuvre cette réduction contrôlée. Cette capacité disponible (spare capacity) est estimée à 2,5 millions de barils/jour. Elle est de fait centrale car elle donne au pays l’option de manipuler à court terme les marchés. Cependant, Riyad n’a jamais voulu porter seule le fardeau d’une baisse de la production. Toute action unilatérale signifierait en effet une perte de parts de marché sans pour autant faire remonter durablement les prix.

C’est pourquoi l’Arabie saoudite a besoin de l’OPEP pour peser davantage sur les cours du baril. Ainsi, le pays seul ne compte que pour 10 % de la production mondiale contre 41 % pour l’OPEP. Cet effet de levier a néanmoins atteint ses limites avec l’arrivée massive des schistes américains. Dès lors, Riyad était contrainte d’aller au-delà du cercle habituel de l’OPEP et de s’entendre avec d’autres producteurs comme la Russie ou le Mexique. Cet accord, dit « OPEP+ » fut signé en décembre 2016 et contribua à maintenir un prix acceptable jusqu’au début d’année 2020.

L’effondrement de l’OPEP+ et la réponse de Riyad

En mars 2020, la pandémie de Covid-19 ébranla considérablement le niveau de la demande de pétrole. Dans ces conditions, le meeting de l’OPEP+ à Vienne s’annonçait décisif. Pour les saoudiens, l’objectif était d’envoyer un signal fort au marché par une réduction drastique du nombre de barils disponibles.

Cependant, cette stratégie fut difficile à imposer aux partenaires de l’OPEP. D’une part, peu de pays de l’organisation sont en réalité capables, comme les saoudiens, de baisser leur production. D’autre part, beaucoup de membres de l’organisation se plaignaient de l’attitude de la Russie qui dépassait régulièrement ses quotas négociés de production. Pour Riyad et le reste de l’OPEP, le seul accord envisageable était donc de forcer les russes à accepter de prendre une part significative du fardeau de la baisse de production. La Russie refusa finalement l’ultimatum entraînant l’effondrement des pourparlers.

En réponse, le pouvoir saoudien lança une guerre des prix afin de pousser Moscou à revenir à la table des négociations. Cette stratégie était pour le moins risquée lorsque l’on sait que près de 80 % du budget fiscal saoudien dépend des recettes pétrolières. Contre toute attente, cette guerre des prix porta cependant ses fruits grâce à la pression diplomatique du G20. Ainsi, en avril 2020, l’OPEP+ décida de réduire la production de 9,7 millions de barils/jour à compter du 1er mai.

Une situation insoutenable à long-terme pour le royaume

Cet accord n’a pas eu pour l’instant l’effet escompté. Le WTI, indice de référence aux Etats-Unis, est descendu ainsi en moyenne largement en dessous des 20 dollars le baril. Le 21 avril 2020, cet index est même tombé en dessous des 0 euros atteignant des prix négatifs. Ceci signifie qu’étant donné le manque de stockage disponible, les opérateurs payent les acheteurs pour qu’ils prennent leurs barils. Le début d’application de l’accord, le 1er mai, devrait néanmoins permettre une relative remontée des prix. Il est pourtant hautement improbable que celle-ci soit suffisante pour dépasser le prix d’équilibre fiscal situé à 80 dollars le baril.

Riyad se verra ainsi obligée de puiser dans ses réserves financières sans avoir un calendrier précis de reprise de l’activité mondiale. En d’autres termes, plus la crise sanitaire va durer, moins le régime saoudien sera en mesure de financer ses dépenses. Ce fait est particulièrement problématique pour un régime qui tente de diversifier son économie à travers un plan coûteux de modernisation (Vision 2030). Le comportement des marchés s’annonce donc décisif pour la monarchie. Si les prix devaient rester bas, celle-ci pourrait en effet plonger dans une crise économique et politique sans précédent. Il faut rappeler que la stabilité intérieure dépend largement du partage de la rente pétrolière.

De plus, l’accord OPEP+ prévoit que l’Arabie saoudite réduise sa production de 2,5 millions de barils/jour. Or, ce chiffre n’est pas anodin car il s’agit exactement de la capacité disponible (spare capacity) du royaume. En d’autres termes, Riyad n’aura plus de marges de manœuvre à l’avenir s’il lui fallait réduire encore davantage la production. En cas de nouvelle baisse des prix, l’Arabie saoudite se retrouvera donc dans l’incapacité d’exercer son rôle de stabilisateur des marchés perdant ainsi une grande partie de son prestige diplomatique.

L’Arabie Saoudite se retrouve donc dans une position inconfortable. Ébranlée par le Covid-19, elle semble être aujourd’hui à court d’options en vue de stabiliser les marchés pétroliers. En cela, la pandémie montre les limites de la capacité saoudienne à véritablement influencer les cours du brut.

 

Sources :

Bassam Fattouh et Andreas Economou, « Oil Price Paths in 2018: The Interplay between OPEC, US Shale and Supply Interruptions », The Oxford Institute For Energy Studies, 13 février 2018.

Bassam Fattouh et Andreas Economou, « Saudi Arabia’s Oil Productive Capacity – The Trade-Offs », The Oxford Institute For Energy Studies, 24 octobre 2019.

Vitaly Yermakov et James Henderson, « The New Deal for Oil Markets: implications for Russia’s short-term tactics and long-term strategy », The Oxford Institute For Energy Studies, 13 avril 2020.

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Quentin PARES

Quentin Pares est diplômé d’un Master 2 de Grenoble Ecole de Management (GEM) et est étudiant à l’IRIS. Il est spécialisé dans les questions énergétiques et d'économie internationale.

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