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Géopolitique de l’Arctique : une région sous haute tension

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« Voulons-nous que l’océan Arctique se transforme en une nouvelle mer de Chine méridionale, alourdie par la militarisation et les revendications territoriales concurrentes ? Voulons-nous que le fragile environnement arctique soit exposé à la dévastation écologique causée par les chalutiers de la Chine au large de ses côtes ou à l’activité industrielle débridée sur son territoire ? » : telles sont les inquiétudes exprimées en mai 2019 par Michael Pompeo, alors Secrétaire d’État américain, lors du Conseil de l’Arctique de Rovaniemi en Finlande.

En effet, force est de constater que l’Arctique, territoire glacé aux ressources abondantes, se transforme peu à peu en théâtre de rivalités internationales. L’exploitation des ressources naturelles et l’ouverture de nouvelles routes maritimes ont placé cette région au centre des enjeux géopolitiques mondiaux. Au-delà des intérêts économiques, c’est un véritable jeu de puissance qui s’y tient, avec des acteurs historiques comme la Russie et le Canada, mais aussi des pays éloignés comme la Chine, qui tentent de s’y imposer. Dans cet équilibre fragile, l’Arctique incarne à la fois un espoir de prospérité et un terrain de tensions, où les tentatives de coopération pourraient bien se heurter aux vices de la concurrence.

Géopolitique de l'Arctique : une région sous haute tension. Fonte des glaces en Arctique.
Photographie de la fonte des glaces en Arctique, processus accéléré par le changement climatique.

L’Arctique, une région riche en ressources naturelles

L’Arctique regorge de ressources naturelles précieuses. Les eaux arctiques produisent 15 % des prises mondiales de poissons, de fruits de mer et de crustacés, ce qui en fait une zone clé pour l’industrie halieutique. Mais c’est surtout le sous-sol qui suscite les convoitises : en 2023, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a estimé que la région contenait 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % des réserves mondiales de gaz naturel. Ces ressources sont cruciales à l’heure où la transition énergétique redéfinit la demande mondiale.

L’Arctique est également riche en métaux rares comme le nickel, le cobalt, le lithium et l’uranium, indispensables à la production des technologies vertes. Le Groenland, par exemple, détient des réserves importantes de terres rares, bien qu’une majorité des habitants aient rejeté leur exploitation en 2021, privilégiant la préservation de l’environnement.

Enfin, le tourisme arctique connaît une croissance rapide. En 2019, il générait déjà 2,5 milliards de dollars américains (USD) et pourrait atteindre 15 milliards USD d’ici 2030, selon le Conseil économique de l’Arctique.

Les populations autochtones face à l’exploitation des ressources

Les populations autochtones de l’Arctique (environ 4 millions d’habitants) dépendent traditionnellement de l’élevage, de la chasse et de la pêche. Les Samis, en Fennoscandie, pratiquent l’élevage des rennes, tandis que les Inuits, au Canada, au Groenland et en Alaska, subsistent grâce à la chasse et à la pêche.

L’exploitation industrielle des ressources perturbe ces modes de vie. Les projets extractifs fragmentent les pâturages des Samis, tandis que les déversements de pétrole, comme ceux observés en Russie, polluent les écosystèmes dont dépendent les communautés locales.

L’Arctique, une région stratégique pour le commerce international

Les routes maritimes arctiques agissent en facteurs de recomposition des échanges mondiaux. On dénombre aujourd’hui quatre routes principales.

Le Passage du Nord-Est (PNE) est le plus emprunté (227 navires en 2018). Il longe la côte nord de la Scandinavie, reliant le port de Mourmansk au détroit de Béring. Cette route permet de réduire de 40 % la distance parcourue pour relier l’Asie à l’Europe par rapport à une traversée via le Canal de Suez (c’est le cas du trajet Shanghai-Rotterdam). Lors du Forum sur l’Arctique de juin 2019 à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine annonçait que le volume annuel transporté via le passage du Nord-Est avait atteint 20 millions de tonnes en 2018.

Le Passage du Nord-Ouest (PNO) relie, lui aussi, l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. Il passe entre les îles arctiques du Nord canadien, puis à travers la mer de Beaufort et la mer des Tchouktches. Néanmoins, ce passage, praticable uniquement pendant le court été arctique, reste peu privilégié par les acteurs du commerce international. 

Le Pont Arctique, entre Mourmansk en Russie et Churchill au Canada, souffre de conditions climatiques rudes et demeure à l’état de projet. 

De même, la Route Transarctique reste hypothétique en raison de la présence de glace dans l’océan Arctique central, posant des contraintes majeures pour la navigation. Néanmoins, cette route pourrait devenir viable rapidement si la fonte des glaces venait à s’intensifier. 

La Chine et la Russie : des puissances arctiques ?

Avec ses 24 000 kilomètres de côtes arctiques et sa flotte de brise-glaces nucléaires, la Russie s’affirme comme la « superpuissance arctique » par excellence. Moscou contrôle la majorité du Passage du Nord-Est et exploite intensivement les ressources naturelles régionales. La militarisation de l’Arctique renforce cette suprématie russe : la base militaire de Mourmansk, modernisée en 2014, abrite 50 % de la flotte sous-marine nucléaire du pays.

La Chine, pourtant très éloignée géographiquement de l’Arctique, s’affirme également comme un acteur clé dans la région. Dès 1989, les autorités chinoises créent l’Institut chinois de recherche polaire afin d’engager une coopération scientifique avec les pays limitrophes de l’espace arctique. Actuellement, le pays cherche à renforcer son influence économique et stratégique dans la région. Pékin s’intéresse notamment à l’exploitation des ressources naturelles, à l’ouverture de nouvelles routes maritimes et à la recherche scientifique liée au changement climatique.

Dans un Livre Blanc publié en 2018, Xi Jinping décrit la Chine comme un « État quasi-Arctique » ; une expansion qui n’est pas reconnue par la communauté internationale. Depuis, Xi Jinping a intégré cette zone dans les « Nouvelles Routes de la Soie » et encourage le développement d’une « route de la soie polaire », reliant l’Europe à la Chine. Cette route pourrait s’avérer particulièrement utile pour contourner certains passages dangereux comme le détroit de Malacca ou le Canal de Suez.

Une délimitation territoriale complexe

Depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Montego Bay en 1994, bon nombre de pays limitrophes de l’Arctique tentent de s’arroger les zones riches en ressources naturelles. 

En 2004, le Danemark est le premier pays à émettre une revendication relative aux zones économiques exclusives (ZEE) de l’océan Arctique. Les autorités danoises suggèrent que le Pôle Nord est une prolongation du plateau continental du Groenland et que, par conséquent, la ZEE du Danemark devrait être réévaluée et élargie.  

Les litiges sur les ZEE reflètent également des rivalités profondes. La Russie, qui revendique une grande partie des eaux de l’océan Arctique, tente depuis le début des années 2000 d’asseoir sa souveraineté sur la région. Le 2 août 2007, dans le cadre de l’opération « Arctique 2007 », des explorateurs ont planté un drapeau aux couleurs de la Russie au fond de l’océan Arctique, un symbole fort faisant écho aux rivalités de Guerre froide.

L’Arctique : terrain d’affrontement des grandes puissances ?

Le Canada, dans cette même volonté d’affirmer son leadership dans la région, déposait en 2019 un dossier d’extension des limites de son plateau continental (1,2 million de kilomètres carrés du fond marin et du sous-sol de l’océan Arctique sont alors revendiqués). En 2022, Eilís Quinn, responsable du site Regard sur l’Arctique, affirmait que le Canada souhaitait étendre la portée de ses revendications, accentuant les chevauchements avec la Russie dans l’Arctique. 

Par ailleurs, les velléités expansionnistes de la Chine en Arctique inquiètent les États-Unis. En 2019, lors du Conseil de l’Arctique de Rovaniemi, Michael Pompeo, secrétaire d’État américain, déclare : « Il y a des États arctiques et des États non-arctiques. Il n’existe pas de troisième catégorie, et prétendre le contraire ne donne aucun droit à la Chine. ». 

Enfin, la militarisation de l’Arctique est un héritage de la Guerre froide, période au cours de laquelle la région était un théâtre de confrontation entre les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Le géopolitologue François Thual qualifie l’Arctique de l’« un des bancs d’essai de la dissuasion nucléaire mondiale. Russes et Américains y testent des sous-marins de nouvelle génération. » Cette dynamique persiste, alimentée par des exercices militaires récurrents. Ce fut le cas en 2021, lorsque la Russie lançait l’expédition Umka-2021, mobilisant 200 unités d’armement et d’équipements militaires.

Le Conseil de l’Arctique : une gouvernance efficace ?

La gouvernance de l’Arctique est régie par le Conseil de l’Arctique, créé en 1996 et comptant 8 États-membres (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède) et des représentants des populations autochtones. Ce forum s’érige en espace de discussion entre les pays bordiers de l’océan Arctique et les autorités locales. Il permet d’aborder les problématiques environnementales et géopolitiques de la région. Néanmoins, les différends entre les parties prenantes sont récurrents et limitent l’efficacité de l’organisation. De plus, depuis 2014, les rivalités entre la Russie et les Occidentaux bloquent de nombreuses initiatives, renforçant le spectre d’une escalade militaire.

En conclusion, l’Arctique s’érige en carrefour stratégique où se mêlent convoitises économiques et rivalités géopolitiques. Ressources précieuses et routes maritimes ouvrent de nouvelles perspectives, mais exacerbent les tensions entre les puissances internationales. Si la coopération demeure essentielle, elle se heurte aux rivalités historiques et aux enjeux militaires. Ainsi, l’avenir de l’Arctique se jouera dans l’équilibre délicat entre exploitation et préservation, entre dialogue et rivalité.

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Caroline Henriques

Je suis actuellement étudiante à NEOMA Business School, après avoir effectué deux années de classe préparatoire. Je m’intéresse particulièrement à l’actualité du monde asiatique, à la géopolitique latino-américaine et à la question environnementale.

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