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La Libye déchirée, l’espoir de paix s’éloigne

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Depuis l’accord signé le 17 décembre 2015 dans la ville de Skhirat au Maroc, la situation en Libye n’a pas évolué. Elle s’est même dégradée. Cet accord prévoit la formation d’un gouvernement à Tripoli avec, à sa tête, le premier ministre Faïez el-Serraj. Mais ce dernier est en perte constante de légitimité, et concurrencé par le Maréchal Haftar à l’Est.

Depuis 2011, les milices pro et anti régime sont souvent au centre du jeu libyen

Un premier ministre affaibli

Deux principales forces politiques se font face en Libye. À l’ouest, le Premier ministre Faïez el-Serraj est à la tête d’un gouvernement reconnu par la communauté internationale, depuis mars 2015, dans la ville de Tripoli. Cependant, M. Serraj perd de l’influence jour après jour. La principale raison tient en un nom : le maréchal Haftar, qui contrôle une grande partie de l’est de la Libye et la majorité des champs pétroliers. Ce dernier est de plus en plus influent dans toute la Libye. Le Parlement de Tobrouk, allié de Haftar, dont les membres ont été élus en 2014, est la seule instance à avoir une réelle légitimité. Or, ce Parlement ne reconnaît pas le Premier ministre Faïez el-Serraj. Ses membres le considèrent comme une marionnette de l’Occident. Ils l’accusent aussi de traiter avec les islamistes.

D’ailleurs, la Russie, dont le positionnement est assez trouble, se rapproche de plus en plus du Maréchal Haftar car elle voit en lui le vrai homme fort de la Libye. Or, selon Kader Abderrahim¹, le soutien russe ne doit pas être surestimé. En effet, l’Égypte est, en réalité, le principal soutien à Haftar.

D’autres acteurs sur le devant de la scène

Ces deux principales forces politiques ne sont toutefois pas les seules à vouloir tirer leurs épingles du jeu en Libye.

Tout d’abord, la chute de Syrte, dernier bastion de l’État Islamique (EI) dans le pays, en décembre 2016, a largement affaibli l’organisation djihadiste. Mais l’EI n’est pas mort. Des forces survivent notamment dans des zones en périphérie de Benghazi, ville côtière à l’Est. Les milices du Maréchal Haftar ont du mal à les déloger complètement.

D’autre part la filière de al-Qaïda en Libye, Ansar al-Charia, maintient toujours une influence dans le Fezzan, région du Sud. La rumeur selon laquelle les djihadistes de l’EI auraient fui en masse vers le sud après la chute de Syrte est en partie fausse. En effet, l’EI est davantage intéressé par les champs pétroliers du Nord contrôlés par le Maréchal Haftar pour sa survie économique.

De plus, la rivalité avec al-Qaïda empêche les djihadistes de l’EI de descendre trop au sud. Quant à Ansar al-Charia, son activité économique fonctionne principalement grâce à toutes sortes de trafics : cigarettes, essence, drogue. Il existe aussi un important trafic de migrants subsahariens qui souhaitent rejoindre le Nord de la Libye, pour ensuite espérer passer en Europe.

Le groupe djihadiste al-Mourabitoune de l’algérien Mokhtar Belmokhtar, qui a prêté allégeance à al-Qaïda ne fait cependant pas oublier les deux principaux peuples historiques rivaux du Sud : les Touaregs et les Toubous. Selon Thomas Feneux², même si des accords ont été signés récemment, les tensions restent très fortes et la paix est fragile. Les combats entre les deux groupes peuvent reprendre à la moindre étincelle.

Enfin, un acteur « oublié » du conflit est revenu faire parler de lui début 2017 : l’ancien premier ministre Khalifa al-Gwell qui n’a plus aucune légitimité. Il est le leader du groupe Fajr Libya (Aube de la Libye), proche des mouvances islamistes. En entrant dans trois ministères différents le 17 janvier, sans rencontrer de résistance de la part des forces de sécurité à l’entrée, il tend à prouver l’inutilité de l’accord de Skhirat. Si cela affaiblit incontestablement Faïez el-Serraj, il y a toutefois peu de chances que al-Gwell puisse revenir sur le devant de la scène.

Les coups médiatiques de l’ancien premier ministre Khalifa al-Gwell, la résistance de l’État islamique à Benghazi, les tensions entre Toubous et Touaregs, et l’influence de al-Qaïda au sud rendent la situation complexe. Et pour tout dire, bloquée. Un accord solide doit être trouvé entre les différentes forces politiques pour que la situation se stabilise et qu’on puisse avoir une chance de voir apparaître un espoir de paix en Libye.

¹ Chercheur à l’IRIS

² Journaliste observateur du conflit libyen

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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