Azerbaïdjan : l’opposition toujours marginalisée
Le 9 février, les citoyens d’Azerbaïdjan ont voté pour les élections législatives anticipées. Dans un contexte d’évolution au sud-Caucase, l’opposition pensait gagner une meilleure représentativité. Finalement, elle n’a obtenu qu’un siège au Parlement. De quoi isoler Bakou par rapport à ses voisins caucasiens, dont les trajectoires sont différentes.
Les sociétés caucasiennes en mouvement
Les régimes des trois États du Caucase ont connu des conflits d’indépendance, suivis de phases d’autoritarisme. En 1992, l’ex-leader soviétique Edouard Chevardnadzé prend le pouvoir en Géorgie. Une révolution, appelée Révolution des Roses, le renverse en 2003. Le jeune Mikhail Saakachvili prend sa suite, avec des promesses pro-occidentales et pro-démocratiques. Les premières sont tenues, les secondes moins. Saakachvili perd toutefois les élections législatives de 2012 et présidentielle de 2013. C’est le parti Rêve Géorgien, de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, qui dirige le pays depuis ces dates. Si les régimes successifs sont marqués par une forte personnalisation et une gestion clanique de la politique, une alternance relative est bien réelle. La société civile est partie prenante dans cette alternance.
En Arménie, le pouvoir est capté par une partie des militaires victorieux de la guerre du Karabagh. Le Président contesté, Levon Ter-Petrosyan, est renversé en 1998 par le « clan du Karabagh »1. Ses deux principaux leaders, Robert Kotcharian et Serzh Sargsyan, se partagent le pouvoir à tour de rôle jusqu’en 2018. À cette date, une révolution populaire renverse Serzh Sargsyan, qui tentait de briguer un nouveau mandat de chef d’Etat. Sous la pression de la rue, le Parlement en place élit le leader des manifestations Nikol Pashinyan. Puis, ce dernier installe sa propre majorité au Parlement. La situation démocratique de l’Arménie s’est depuis grandement améliorée, malgré des problèmes persistants.
En Azerbaïdjan, l’immobilisme du pouvoir
Depuis 1993, la famille Aliyev dirige l’Azerbaïdjan. Heydar Aliyev ancien secrétaire du Parti Communiste d’Azerbaïdjan, prend le pouvoir après une transition d’indépendance chaotique. Cette courte parenthèse, marquée par des manifestations et des coups d’Etat, est fermée lorsqu’Aliyev instaure un pouvoir autoritaire et stable, basé sur ses réseaux d’influence, le « clan du Nakhitchevan »2. Son fils, Ilham, lui succède à sa mort en 2003, et est au pouvoir jusqu’à aujourd’hui.
Comparé à ses voisins, l’Azerbaïdjan fait figure d’exception. Le régime s’est maintenu dans une grande stabilité, mais aussi dans une forte corruption, un musellement total de l’opposition et d’importants moyens de répression. La société civile azérie n’est pas déconnectée du reste du Caucase, mais sa situation reste précaire. La chute des cours du pétrole en 2014 a par ailleurs considérablement diminué les revenus de l’Azerbaïdjan et sa capacité à redistribuer les richesses. Ainsi, Bakou se sent menacé par les évolutions chez ses voisins et la situation interne difficile. C’est dans ce contexte que l’Etat appelle à des élections législatives anticipées.
Des élections anticipées, dans quel but ?
Certains analystes pensaient que la tenue d’élections anticipées avait pour but d’instaurer des réformes et un nouveau changement. Plusieurs cadres du clan du Nakhichevan ont ainsi été limogés de leurs postes, au profit de gens plus proches de la femme d’Ilham Aliyev, Mehriban Aliyeva. Le régime présentait la Première dame comme une alternative – relative – à Ilham Aliyev, qui aurait ainsi pu quitter le pouvoir sans que le changement ne soit radical. Mehriban Aliyeva est par exemple vice-Présidente du pays depuis 2017. L’opposition n’était pas dupe sur le fait que le Parti du Nouvel Azerbaïdjan (parti du clan Aliyev) gagnerait les élections. Elle pensait en revanche que plusieurs sièges au Parlement lui seraient accessibles.
La réalité a donné raison aux plus pessimistes : le PNA a gagné la quasi-totalité des sièges, dans des conditions de transparence douteuse. Les élections ont probablement été anticipées pour empêcher l’opposition de se structurer et de devenir une alternative sérieuse.
Il faut toutefois noter deux changements principaux. Durant la campagne, les groupes d’opposition, par exemple féministes, écologistes ou encore de gauche, ont pu entrer en contact et s’organiser. S’ils n’ont pas pu obtenir de sièges au Parlement, leur visibilité a grandi. La société civile azérie se renforce donc, et pourrait devenir un acteur conséquent de mobilisation contre le pouvoir à terme. De plus, l’influence grandissante du clan de Mehriban Aliyeva est un phénomène intéressant, dont nous n’avons ni toutes les informations, ni tous les ressorts. Il est trop tôt pour émettre des hypothèses sur l’impact futur de ces changements. Ceux-ci pourraient toutefois modifier la structure de l’Etat azéri.
Bibliographie
1 Viatcheslav Avioutskii, Les clans en Azerbaïdjan, Le courrier des pays de l’Est, 2007, pp. 67 à 69.
2 Michèle Kahn, Le Haut-Karabakh au coeur du nouvel Etat, Le courrier des pays de l’Est, 2008, pp. 40 à 43.