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La Chine au cœur du « Grand Jeu » afghan (2/2)

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Dans un premier article, nous avons pu voir les grands axes de la stratégie chinoise en Afghanistan. Il s’agit désormais d’analyser comment Pékin intègre dans sa stratégie les autres acteurs.

la capacité de la Chine à influencer la politique pakistanaise vis à vis de l'Afghanistan sera un élément clé pour la réussite de la stratégie chinoise
la capacité de la Chine à influencer la politique pakistanaise vis à vis de l’Afghanistan sera un élément clé pour la réussite de la stratégie chinoise

La Chine et les Etats-Unis ont des relations polymorphes, valsant entre coopération et compétition. Les deux grands de ce monde ont conscience qu’ils ne peuvent pas s’opposer frontalement et que la coordination est nécessaire sur certains dossiers, même sujets à tensions comme l’Afghanistan.

La Chine a su profiter de la présence américaine en Afghanistan, et a salué par ailleurs le rôle positif joué par la coalition internationale pour la pacification et la stabilisation de la région. Toutefois, la présence des Américains à la frontière de l’Empire du Milieu ne pouvait être une solution à long terme pour la Chine. La perception du retrait américain de l’Afghanistan par les stratèges chinois montre cependant qu’il peut être envisagé de différentes façons. Pour certains, il est évident qu’il sert les intérêts chinois. Pékin va pouvoir s’affirmer en Asie centrale, dans une zone en manque de leadership, et affaiblir la puissance indienne en Afghanistan, qui est bien établie par son programme d’aide dynamique. De l’autre côté, une partie d’entre eux estiment que sur le plan global, il n’aide pas la Chine. Les Américains s’enlisaient en Afghanistan, et cette guerre ne servait pas leur image, permettant au Chinois de rester en retrait et de passer ainsi facilement pour des artisans de paix. En augmentant son engagement en Afghanistan, que ce soit sur le plan politique ou économique, la Chine n’a que des coups à prendre. De plus, ce retrait permet aux Américains d’accélérer sa stratégie du pivot vers l’Asie-Pacifique, zone où les Etats-Unis ont plus d’alliés que la Chine et où leur présence accrue peut avoir des conséquences plus néfastes pour la puissance chinoise qu’en Afghanistan.

La Chine subit ici plus le choix des Américains qu’elle ne le choisit. Elle a toutefois déclaré qu’un départ précipité serait dommageable pour les deux parties et pour l’Afghanistan. Reste à savoir comment les stratèges chinois vont désormais appréhender ce retrait, perçu comme une opportunité et un risque à la fois.

L’équation « AfPak » aux multiples inconnues

Depuis la prise en main du dossier afghan par la Chine et l’accession au pouvoir à Kaboul du président Ghani, le traitement politique de la question afghano-pakistanaise prend une autre tournure. Le politique vis-à-vis du Pakistan menée par Ghani tranche avec celle de son prédécesseur Karzai. Elle se place sous le signe de l’ouverture et de la coopération, incitant même les médias à parler de « printemps entre l’Afghanistan et le Pakistan ». La Chine, incluant les deux pays dans son projet de route économique de la soie, fait pression sur les deux acteurs afin qu’ils comprennent que leurs intérêts convergent pour le développement des deux pays.

Toutefois, de nombreux obstacles s’opposent à ce « printemps ». Ghani est très critiqué dans par le corps politique afghan, qui ne voit pas les résultats du réchauffement pakistanais (attaque sur le parlement afghan, week-end meurtrier du 8/9 Août à Kaboul). Ghani a dû par la suite avoir des déclarations publiques fortes, expliquant que si le Pakistan n’agissait pas contre les groupes Talibans sur son sol, cela revenait à tolérer la présence d’ennemis de l’Afghanistan chez eux. L’establishment militaire pakistanais reste lui-même divisé sur la stratégie à adopter. Une partie d’entre eux, notamment depuis l’attentat de Peshawar, pense que les Talibans commencent à représenter une menace pour l’intégrité du pays (et pour le pouvoir des militaires). Tandis qu’une autre partie reste persuadée qu’un Afghanistan instable va dans l’intérêt du Pakistan, et que les Talibans restent manipulables selon leurs intérêts.

Au sein des Talibans, l’unité n’est pas de mise non plus. Depuis la mort du Mollah Omar et le retrait des troupes américaines, le mouvement ne trouve pas une ligne claire. Certains sont favorables au dialogue proposé par la Chine, tandis qu’une partie suggère de continuer l’offensive afin de profiter du départ des Américains. Alors que les Talibans reprennent l’avantage au sol, il parait plus compliqué de les amener à la table des négociations. Surtout depuis qu’ils subissent la concurrence de l’Etat Islamique dans leur territoire, les obligeant à adopter une rhétorique guerrière à l’égard de Kaboul afin de ne pas perdre des militants.

Malgré une politique visiblement plus pragmatique proposée par la Chine, réussir à accorder tous les acteurs de l’Afpak sur une solution politique semble relever de l’utopie. Les divisions au sein de la classe politique afghane, du complexe militaire pakistanais et du mouvement Taliban rendent difficile une convergence de tous les acteurs sans des fractures au sein d’entre eux. Des fractures qui ne pourront qu’engendrer plus de tensions dans une région déjà troublée où la paix semble rester un objectif plus louable qu’atteignable.

La tentative de la Chine d’amener la paix et le développement économique dans cette région est donc l’un des premiers grands tests pour Pékin en tant que grande puissance. Un défi dont Pékin a conscience des opportunités et des risques, mais qui sera l’occasion de voir si une autre grande puissance est capable de proposer une autre forme de résolution de conflit, et surtout, voir si elle fonctionne.

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