L’Iran est-il réellement le danger au Moyen-Orient ?
Donald Trump a fréquemment désigné l’Iran comme un ennemi, pourvoyeur du terrorisme international. Qu’en est il réellement ?
L’argument terroriste
La vérité est bien plus complexe que ce que Donald Trump a laissé entendre lors de son allocution. Premièrement, les documents récemment révélés par Benjamin Netanyahou datent de 2005 et par conséquent ne reflètent pas la situation actuelle. S’agissant d’Al Qaeeda, il y a en effet des liens complexes entre l’organisation et la République islamique [1], notamment sur le dossier syrien. L’Iran a armé des milices en Syrie et en Irak afin de contrer Daech. Ces milices étaient parfois alliées à des mouvements plus ou moins affiliés à Al Qaeeda comme le Front Al Nosra. L’Iran a également fait libérer deux hauts représentants d’Al Qaeeda en 2015. Enfin, la République islamique a tenté d’instrumentaliser certains mouvements afin de les tourner contre l’Arabie Saoudite.
Tout ceci est avéré, notamment par les documents de 2011 récemment déclassifiés par la CIA. Toutefois, tous les pays impliqués dans ce conflit ont armé des milices diverses dont certaines affiliées à Al Qaeeda, notamment la France. Le Front Al Nosra avait d’ailleurs été encensé par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères. Daech posait une menace existentielle pour la République islamique, et tous les observateurs s’accordent pour dire que sans l’action iranienne, l’Etat islamique se serait emparé de Bagdad. La capture de la capitale historique des vieux califats médiévaux aurait été un outil de propagande formidable pour le groupe terroriste, et l’aurait rendu bien plus difficile à abattre. Quant aux deux prisonniers d’Al Qaeeda libérés par l’Iran, ils ont été libéré afin de secourir un diplomate iranien. Encore une fois, la France a également la réputation de payer des groupes terroristes afin de secourir ses otages. Enfin, lorsque l’on parle de l’instrumentalisation de mouvements contre l’Arabie Saoudite effectués par l’Iran, il faut savoir que le Royaume fait de même en finançant des mouvements chiites contre la République islamique. Le haut commandement militaire iranien n’est donc clairement pas exempt de tout reproche. Cependant, le taxer de pourvoyeur du terrorisme international est bien plus qu’une exagération, d’autant plus lorsque l’on connaît le rôle historique de citoyens saoudiens dans la genèse des mouvements terroristes depuis le 11 Septembre. De plus, la tendance des faucons américains à promouvoir le regime change, cette stratégie néo-coloniale, est bien plus déstabilisatrice que ne pourrait jamais l’être la République islamique.
L’Iran est il un pays déstabilisateur ?
Le Président des États-Unis a également dénoncé l’augmentation du budget militaire iranien. Cet argument est particulièrement mal venu venant du président ayant promis des milliards de dollars en matériel d’armement à l’Arabie Saoudite, pays qui demande plus ou moins ouvertement depuis 2007 à ce que l’Occident détruise la République islamique. Selon le Stockholm International Peace Research Institute, le budget de la défense saoudienne est bien plus élevé que le budget iranien, pour une population bien moins nombreuse. L’armée saoudienne dépense 13,7% de son PIB à sa défense, soit plus de 87 milliards de dollars. L’Iran en revanche consacre 2,5% de son PIB, soit 10 milliards de dollars. Or l’armée iranienne est occupée à combattre sur sa frontière avec l’Afghanistan une coûteuse guerre contre le trafic d’opium, trafic d’opium que les États-Unis n’ont jamais cherché à enrayer, même lorsqu’ils avaient des centaines de milliers d’hommes sur leur territoire. De plus, l’Iran est également directement engagé en Syrie et en Irak, contre Daech. Une augmentation de son budget n’est donc pas étonnant ni un élément déstabilisateur de la région. L’Arabie Saoudite en revanche, après être intervenue militairement contre la rébellion au Bahrein, lancé une expédition teintée d’atrocités au Yémen et lancé un blocus sur le Qatar n’est pas inquiétée par les États-Unis. L’Iran n’est pas tant un pays déstabilisateur qu’un pays en rivalité avec l’Arabie Saoudite voisine. Leur rivalité est l’élément déstabilisateur, mais apparait commme extrêmement rentable. Ce sont des milliards de dollars d’équipements que les États-Unis et la France ont vendu aux puissances sunnites, dans le but de soutenir des guerres lancées en dehors de tout cadre onusien.
Les dangers du retrait
On a pu voir que les États-Unis n’avaient rien à perdre économiquement de ce retrait. Au-delà de l’étude des raisons d’Etats et de leurs intérêts divergents, pourquoi est ce que les États-Unis font sûrement fausse route ?
Tout d’abord, parce que les États-Unis ne souffraient pas de cet accord. Ils prennent un risque en l’abrogeant, un risque qui se décline en plusieurs points. Le premier aspect est que ce retrait montre que l’on ne peut plus faire confiance aux États-Unis sur la signature d’accords internationaux. Par son unilatéralisme, c’est tout le fonctionnement de la diplomatie que le président Trump met en danger, car ce genre d’action remet en cause la parole donnée. Non seulement le fonctionnement de la diplomatie, mais la parole des démocraties en particulier : en effet, il y a danger que les autocrates soient désormais perçus comme plus fiables car moins susceptible à voir leur parole remise en question par des élections.
De plus, les États-Unis en se comportant ainsi donnent l’argument rêvé aux conservateurs iraniens qui étaient eux mêmes opposés à l’accord. Tout accord avec le Grand Satan est futile, expliquent ils déjà, car il n’a pas de parole. Ce retrait fragilise en même temps la position politique de tous ceux qui rêvaient d’apaisement et de coopération en Iran. Avec ce retrait, c’est la défaite politique du camp de la paix. Hassan Rohani est aujourd’hui en difficulté et il va lui falloir faire preuve d’une grande finesse pour sauver l’accord aux yeux des iraniens.
Enfin, l’accord de 2015 permettait de faire progresser l’Iran vers plus de liberté. Car en effet, comme l’écrit Myriam Pirzadeh, dans son livre « Quand l’Iran s’éveille » l’Iran est un paradoxe. Oui, il y a des discours en plein Téhéran où des foules scandent « Mort à l’Amérique » et c’est probablement le genre d’images que les néo-conservateurs, de retour sur le devant de la scène politique des États-Unis ont du montrer à Donald Trump. Mais l’Iran est également le pays où de nombreux jeunes aspirent à se libérer des carcans d’une société conservatrice. L’accord de 2015 avait mené à des scènes de liesse dans tout le pays. Cet accord permettait de tirer l’Iran vers plus de libéralisme, plus de liberté. C’est cette aspiration que Donald Trump a fragilisé.
Les États-Unis espèrent probablement que la méthode employée en Corée du Nord fonctionnera en Iran. C’est à dire que c’est en faisant preuve de force sur la scène médiatique, en montrant les muscles que la République islamique va revenir sur la table des négociations. Sauf que le dossier iranien est tout à fait éloigné du dossier coréen. Il est peu probable que cela fonctionne deux fois.
Des conséquences immédiates inquiétantes
Les retombées ne se sont pas laissées attendre. L’armée israélienne a procédé à des opérations sur les forces iraniennes en Syrie. Moscou, Paris et Berlin ont appelé à l’apaisement, alors que les extrémistes tant en Israël qu’en Iran hurlent à la guerre. Toutefois un conflit ouvert contre la République islamique serait désastreux pour toutes les forces en présence et se ferait ressentir partout, jusqu’au Maghreb. Une telle déstabilisation pourrait contaminer l’Afrique subsaharienne. Les mouvements migratoires et les menaces terroristes en seraient décuplées.
Vers une nouvelle crise en Atlantique ?
Il est possible que l’on observe une profonde ligne de fracture entre les deux côtés de l’Atlantique. Les Européens ne semblent pas disposés à laisser Donald Trump saborder les accords de Vienne. Une réunion sur ce sujet doit avoir lieu le mardi 15 mai 2018 : le chef de la diplomatie européenne doit recevoir les ministres des affaires étrangères de tous les pays de l’Union. Une telle divergence entre les deux côtés de l’Atlantique n’avait pas ete observée depuis l’opposition de Dominique de Villepin à la guerre en Irak en 2003. Sauvegarder l’accord et les contrats signés entre entreprises européennes et l’Iran serait complexe, mais de nombreuses pistes sont à l’étude afin de contourner les lois américaines. Développer l’euro est la plus naturelle, mais l’émergence des cryptomonnaies pourraient également permettre d’éviter les sanctions et contrer la diplomatie du dollar. Cette crise pourrait également avoir de graves conséquences à long terme, ou alors finir d’enterrer la suprématie américaine. Néanmoins, le Congrès des Etats Unis pourraient choisir de tempérer la véhémence de leur Président.