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Triangle Nord : l’intégration régionale face à la violence

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Il y a plusieurs mois, nous avions tenté de dresser un panorama de la violence en Amérique latine, pour en retracer les origines et les caractéristiques. Néanmoins, une région en particulier est particulièrement frappée par ce phénomène : le « Triangle Nord », composé du Guatemala, du Honduras et du Salvador. Comment ces pays pourraient-ils se sortir d’une telle situation, qui nuit à leur image internationale et, surtout, à leur développement ?

Localisation des pays du « Triangle Nord » (Cliquez pour voir en plus grand)

Le « Triangle Nord » est une région regroupant trois pays d’Amérique centrale – le Guatemala, le Honduras et le Salvador – en raison de leur rapprochement géographique, économique et politique. Les dernières statistiques disponibles (2013) de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) établissaient des taux d’homicides volontaires alarmants pour ces pays : 90,4 pour 100 000 habitants au Honduras (soit 7172 homicides), 69,2 au Salvador et 38,5 au Guatemala. Pourtant officiellement en paix, ces pays figurent parmi les plus violents au monde, le Honduras se trouvant même en tête du classement établi par l’ONUDC, suivi par le Salvador. La majorité des décès proviennent ainsi des luttes entre la police et les gangs, mais également des luttes de territoire entre bandes rivales.

Corruption, répression, migration

Les meurtres ne sont cependant qu’un aspect de la violence : il faut également prendre en compte les violences sexuelles, la contrebande ou les vols. Or, la puissance des pandillas ou maras, les bandes armées qui gèrent le narcotrafic dans cette région du monde, fait que nombreux sont les crimes non-rapportés par la population aux autorités, par peur des représailles et/ou en raison de l’inefficacité de la police. Ces gangs se sont particulièrement développés dans les années 1990, après le retour de milliers de gangsters emprisonnés aux États-Unis puis déportés par le gouvernement américain. La fascination exercée par ces groupes à leur retour sur les jeunes défavorisés leur a permis d’en attirer un grand nombre parmi leurs rangs, qui ont à leur tour eu des descendants (pour ceux qui sont arrivés jusqu’à l’âge adulte) amenés à participer aux activités des maras, favorisant l’implantation durable de ces groupes dans les sociétés locales. Ils prospèrent notamment du commerce de la drogue, cette région étant située directement sur la route de la cocaïne vers les États-Unis, en provenance de la Colombie, du Pérou et de la Bolivie.

Les pays du Triangle Nord, et plus largement la majorité des pays d’Amérique centrale, sont moins développés que leurs voisins des extrémités nord et sud du continent : une grande partie de la population souffre de la pauvreté, les États œuvrent avec peu de moyens et la corruption est largement répandue. Par exemple, le Guatemala vit actuellement une crise politique à l’issue du vote d’une loi assouplissant les sanctions en cas de financement illicite de partis politiques et le Salvador vient d’arrêter un membre de la Marine, accusé de participer au financement de certains groupes criminels. Ces pays ont mis en place des politiques de militarisation et de répression pour faire face aux bandes criminelles, grâce à un appui logistique et financier des États-Unis. Néanmoins, du fait du passé dictatorial de ces pays et de la corruption précédemment évoquée, les autorités ne bénéficient que d’un soutien très limité de la population, qui subit la pauvreté, les règlements de compte et les pressions des délinquants. De ce fait, des milliers d’habitants émigrent continuellement vers le Mexique et les États-Unis, une vague de migration tout-à-fait majeure qui est une des raisons ayant motivé le projet de Donald Trump de construction d’un mur le long de la frontière sud des États-Unis.

La nécessaire coopération régionale

Réunion des chefs d’États membres du Triangle Nord

Conscients que le narcotrafic et la violence sont les principaux freins à leur développement, les pays du Triangle Nord coopèrent de façon approfondie pour tenter de diminuer l’emprise des bandes criminelles. Les polices du Guatemala, du Honduras et du Salvador ont en outre mis sur pied l’opération « Escudo », visant au démantèlement des bandes de narcotrafiquants. Celle-ci a connu une forte accélération aux cours des dernières semaines : près de 500 membres présumés des maras Salvatrucha et Barrio 18 furent ainsi arrêtés début septembre, dont d’importants chefs.

Ces résultats ne demeureront cependant qu’anecdotiques tant que d’autres mesures ne seront pas prises. Tout d’abord, comme le suggèrent la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et l’ONUDC, concernant les trois pays du Triangle Nord, une réforme administrative s’impose pour renforcer la capacité d’action des États. De plus, le développement économique et la limitation de l’activité informelle sont nécessaires si ces pays veulent voir le poids des narcotrafiquants dans la société diminuer. Surtout, c’est aux pays producteurs de cocaïne en Amérique du Sud de faire les efforts nécessaires à l’éradication du marché de la drogue : il s’agit donc d’une réponse globale à apporter à ces thématiques, tant à l’échelle locale que régionale. La lutte contre le narcotrafic et la violence pourrait donc dans ces conditions servir de base à l’approfondissement de l’intégration régionale en Amérique latine, au même titre que la coopération économique.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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