Les premières semaines d’Imran Khan à la tête du Pakistan: entre nouveautés et conservatisme
Imran Khan a été élu Premier ministre par la chambre basse pakistanaise le 17 août 2018. Cet ancien joueur de Cricket s’est illustré dans sa campagne par l’emploi de thèmes fédérateurs, nationalistes et anti-establishment, destinés aux classes pauvres et moyennes du pays. Son ascension, inattendue et spectaculaire, n’est pas sans rappeler les trajectoires d’autres hommes politiques neo-autoritaires aux Etats-Unis ou en Europe qui répondent aux désirs « dégagistes » de la population. Retour sur les premières semaines au pouvoir d’un iconoclaste, entre conservatisme sociétal et réformisme social.
Le jour même de sa prise de fonction, le Premier ministre pakistanais a exprimé sa résolution de prendre à bras-le-corps les problèmes récurrents et endémiques qui sapent, selon la majorité des pakistanais, la prospérité nationale. Lors de son investiture, Imran Khan a indiqué dans son discours sa volonté irrépressible d’en finir avec une corruption, que 80% des pakistanais considèrent comme un frein sérieux pour le développement du pays. Partie intégrante du paysage local, ce sont pour faits de corruption que le précédent Premier ministre Nawaz Sharif a récemment été condamné à 10 ans de prison et à 10.5 millions de dollars d’amende .
Face à l’imminence de la crise économique, Imran Khan privilégie l’austérité aux emprunts étrangers.
Le nouveau chef de l’exécutif est confronté à l’héritage désastreux du gouvernement précédent : un déficit de 12 milliards de dollars dont découle l’imminence d’une forte inflation et d’une réduction des réserves de devises étrangères. Néanmoins, Imran Khan rechigne manifestement à emprunter au FMI, qu’il considère comme une rémanence coloniale, pour lui préférer une task-force dirigée par l’ancien gouverneur de la banque centrale Ishrat Husain et destinée à mener une ferme politique d’austérité. En sus, le nouvel homme fort du Pakistan a appelé la diaspora à investir sur le territoire, et les 1% les plus riches à payer plus d’impôts. Ces mesures, sans doute insuffisantes, témoignent néanmoins d’une nette volonté de tourner la page des précédentes politiques de dépendance menées avant lui.
Leader populaire attaché à son image anti-establishment, Imran Khan a annoncé quitter le palais présidentiel pour vivre modestement dans un trois-pièces. Il a également refusé les avantages matériels attachés à la fonction. En effet, l’ancienne vedette de cricket se sait issue du sentiment populaire d’exaspération à l’égard des élites traditionnelles et entretient soigneusement son image d’homme du peuple, jusqu’à refuser de se rendre à la 73e assemblée générale de l’ONU du 18 septembre 2018 pour s’occuper de la situation économique.
Un leader inspiré par l’Islam à la recherche d’accommodements raisonnables avec les partis islamistes
Les deux premières semaines sous la direction d’Imran Khan ont confirmé son souhait, voire sa sincère aspiration à réaliser sa conception personnelle d’un Etat à l’image de ce que voulait le prophète de l’Islam lui-même, à savoir un genre particulier d’Etat-providence. Sur fond religieux, ses derniers discours s’intéressent particulièrement au problème de la misère sociale, en particulier celle des enfants : seuls 71% sont scolarisés à l’école primaire, et un dixième décède avant ses 5 ans. Terreau favorable de l’islamisme militant dans un pays où 45% de la population a moins de 20 ans, c’est une bombe à retardement que le Premier ministre veut s’employer à désamorcer.
Par ailleurs, les partis islamistes, comme le Tehreek-e-Labbaik Pakistan, ont le vent en poupe, passant de 5 à 10% des suffrages exprimés aux élections législatives entre 2013 et 2018. Imran Khan a donc dû donner des gages aux plus radicaux et éviter de s’inscrire en faux des convictions religieuses du plus grand nombre. Ainsi, à l’annonce de la tenue d’un concours de caricatures religieuses par Geert Wilders aux Pays-Bas, le 27 août 2018, le Premier ministre s’est dit publiquement « blessé » par l’événement, faisant écho aux manifestants du Tehreek-e-Labbaik Pakistan qui exigeaient le renvoi de l’ambassadeur néerlandais. Par ailleurs, il a défendu les lois sur le blasphème (peine capitale souvent utilisée pour « régler » des problèmes d’ordre privé), et accepté qu’on retire des panneaux publicitaires criards qualifiés de « vulgaires ».
Imran Khan veut renouer le dialogue avec l’Inde et conserver les bonnes grâces de Pékin
S’il ne se confronte pas frontalement aux partis islamistes, le dirigeant pakistanais tente néanmoins de saper leurs seconds couteaux passés au terrorisme. Alors que les gouvernements pakistanais soutenaient ponctuellement les mouvements terroristes de lutte dans la région disputée du Cachemire pour affaiblir l’Inde, Imran Khan a permis pour la première fois à l’armée pakistanaise de participer à un exercice joint anti-terroriste avec l’armée indienne, le 27 août, dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai. De plus, son administration s’est déjà entretenue avec le Premier ministre indien Modi, afin de restaurer le dialogue à propos du Cachemire, et les relations diplomatique entre les deux pays, au point mort depuis les attentats de janvier 2016. L’apaisement des tensions avec l’Inde est une condition sine qua non de la résorption du terrorisme pakistanais, nourrie par ce conflit, et qui permettra au Pakistan de conserver la confiance et les investissements indispensables de Pékin. La politique étrangère d’Imran Khan est ainsi mise au service de sa politique intérieure d’assainissement économique et de construction d’un Etat-Providence, plutôt que dirigée dans le sens d’une lutte irrédentiste de territoire contre le sous-continent.
Enfin, le Premier ministre fait preuve de fermeté dans sa démarche. Il a ainsi repoussé l’offre saoudienne d’asile pour Nawaz Sharif, malgré ses problèmes de santé. Le candidat malheureux à sa propre succession est actuellement en détention, privé des soins nécessaires.
Imran Khan s’inscrit ainsi dans cette nouvelle génération de dirigeants populaires, autoritaires, désireux d’apaiser les tensions militaires internationales, de promouvoir le développement économique local (quitte à enfreindre les règles de commerce international), et de nature peu sensible au corpus des droits de l’homme. Néanmoins, ses premières semaines indiquent bien que le nouveau Premier ministre est aussi l’enfant de son histoire nationale : ses relations avec les Talibans sont troubles et les gages donnés aux islamistes militants dépassent souvent le minimum politique nécessaire.