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L’Ukraine, de la crise à la guerre civile ?

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Les images qui nous viennent d’Ukraine évoquent la guerre. Dix-huit villes dans le sud et l’est du pays sont aux mains des insurgés ou en subissent les assauts. Les accords de Genève, d’abord prometteurs, se révèlent illusoires. Odessa, la Marseille ukrainienne, a connu une tragédie sans précédent depuis les affrontements de la place Maïdan en février : trente-quatre personnes ont péri dans l’incendie d’un bâtiment public. François Hollande invite les belligérants au dialogue, à la désescalade de la violence alors que l’OTAN prévoit de multiplier les exercices militaires pour rassurer les États voisins : Pologne et pays baltes. Hier, Vladimir Poutine jouait la carte de l’apaisement en annonçant le retrait des troupes russes, massées à la frontière russo-ukrainienne, et en appelant au report du référendum (prévu le 11 mai), concernant l’indépendance de la région de Donetsk (Donbass). Pendant ce temps, l’Ukraine orientale et méridionale s’embrase toujours.

Vendredi 2 mai 2014, Odessa, ville portuaire donnant sur la Mer Noire, a connu un drame terrible. Un cocktail molotov, lancé lors d’un affrontement entre séparatistes pro-russes et défenseurs pro-ukrainiens, a causé un vaste incendie. Bilan : trente-quatre morts dont la majorité est pro-russe. La propagande russe s’est aussitôt emparée de l’information. Selon certains médias russes, la tragédie d’Odessa serait un nouveau massacre de Khatin (un village biélorusse brûlé entièrement par les Nazis, lors de la 2nde Guerre mondiale). Une chose est certaine : Odessa devient le symbole de l’échec de la conférence de Genève qui prévoyait le désarmement des insurgés et l’apaisement des tensions. Historiquement, Odessa est aussi un symbole fort dans l’imaginaire russe puisque c’est le port dans lequel les mutins du cuirassé Potemkine lancent leur révolte contre le tsar en 1905. Vingt ans plus tard, la propagande stalinienne immortalise cet épisode fondateur de l’histoire de l’empire soviétique à travers le film de Sergueï Eisenstein, Le Cuirassé Potemkine, un chef d’œuvre cinématographique mondialement célèbre.

Si Odessa vacille, c’est l’Ukraine qui oscille dangereusement vers la guerre civile, d’autant plus que les élites politiques ukrainiennes locales semblent effacées, souvent corrompues et parfois complices lorsqu’elles ne sont pas détenues par les insurgés comme le maire de Slaviansk.

Dans le même temps, un nouveau terme au sens fort fait son apparition dans le discours poutinien. Il s’agit de Novorussia, littéralement « Nouvelle Russie ». Ce mot désigne clairement la volonté expansionniste de Vladimir Poutine, son souhait de reconstruire l’empire russe sur les fondements d’un panrussisme affiché. La vocation de la Russie serait d’abriter sous son aile les populations russophones des ex-États soviétiques. Une sorte de souveraineté limitée dans le cadre de l’Union douanière. Novorussia, c’est la politique étrangère de Poutine en un mot.

L’Ukraine étant une pièce maîtresse du puzzle poutinien, la stratégie du Kremlin consiste à « diviser pour mieux régner » (Machiavel). La propagande russe poursuit son offensive de désinformation massive visant à décrédibiliser le gouvernement ukrainien pro-européen avec des slogans comme « Tous fascistes, tous nazis ». Moscou attise les tensions en infiltrant des forces spéciales et des contractors (paramilitaires issus de sociétés militaires privées russes). Ces combattants encagoulés, sans insigne, viennent de la frontière russo-ukrainienne, de Crimée et de Transnistrie (région autonome de Moldavie, à majorité russophone, autoproclamée indépendante mais non reconnue par la communauté internationale).

La main de Moscou dans l’escalade de la violence en Ukraine pourrait aboutir à la formation d’un arc territorial géostratégique russophone, reliant à la Russie l’Ukraine orientale et méridionale, la Crimée et la Transnistrie. L’armée ukrainienne, largement corrompue et infiltrée par des éléments russes, ne paraît pas apte à rétablir l’ordre dans le pays. À Kiev, le gouvernement par intérim reçoit pourtant le soutien d’agents de la CIA et du FBI, selon le quotidien allemand Bild.

Trois dates clés concernent l’avenir direct des Ukrainiens. Demain, vendredi 9 mai aura lieu la visite de Vladimir Poutine en Crimée pour la commémoration de la fin de la 2nde Guerre mondiale. On peut envisager que ce sera l’occasion pour le président russe de défier de nouveau l’Occident, de consolider sa suprématie en Crimée et d’organiser les festivités pour légitimer l’annexion de la presqu’île criméenne (une violation de l’intégrité nationale ukrainienne et donc du droit international). Ensuite, le 11 mai est prévu le référendum concernant l’indépendance de la République populaire de Donetsk, scrutin revendiqué par les manifestants pro-russes mais dont on ne sait rien sur les conditions de son organisation. Enfin, les élections présidentielles du 25 mai constituent le moment capital quant à l’avenir de l’Ukraine et de son peuple. L’Ukraine en crise sombrera-t-elle dans le gouffre de la guerre civile ? Pour répondre à cette interrogation, le mois de mai 2014 sera décisif.

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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