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Mai 1918, les premières indépendances caucasiennes

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Les 26 et 28 mai derniers, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan célébraient les cent ans d’indépendance de leurs premières républiques respectives. Des républiques éphémères mais qui sont des repères pour chacun de ces Etats, et qui continuent d’influer sur les dynamiques régionales.

Sur les ruines de l’empire russe

En 1917, l’empire russe s’effondre. Les peuples du sud-Caucase s’unissent alors au sein d’une République fédérale de Transcaucasie, mais celle-ci éclate lorsque la Géorgie proclame son indépendance le 26 mai 1918. Deux jours après, l’Azerbaïdjan et l’Arménie font de même.

Carte de la Géorgie telle qu’elle se représente en 1918-1920

Pour la Géorgie, c’est un retour à l’indépendance après l’annexion russe. Le sentiment anti-russe s’est largement développé en Géorgie dès le début du 19ème siècle et la famille royale perd tout droit sur son territoire tandis que l’Eglise orthodoxe géorgienne est supprimée. Cette rancœur envers la Russie permet la structuration d’un nationalisme géorgien. C’est aussi une indépendance qui réunit l’ensemble de ce que les Géorgiens considèrent comme leur territoire : à l’est la Kakhétie et le Kartli, centres politiques du pays, autrefois sous domination perse ; à l’ouest, la Gourie, l’Imérétie, l’Abkhazie, l’Adjarie… provinces autrefois ottomanes avec une forte autonomie. Si les territoires géorgiens ont été réunifiés sous l’empire russe, ils dépendaient directement du Kremlin. La Géorgie, premier Etat de Transcaucasie à proclamer son indépendance, se rapproche de l’Allemagne et de l’empire ottoman afin d’être reconnue. Tbilissi entre également en guerre avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le contrôle de territoires frontaliers.

Carte de l’Azerbaïdjan tel qu’il se représente en 1918

L’Azerbaïdjan et l’Arménie connaissent une indépendance plus difficile. Leurs territoires ne sont pas clairement définis. Pour l’Azerbaïdjan, l’ensemble de la Transcaucasie orientale fait partie de son territoire, c’est à dire l’Azerbaïdjan et l’Arménie actuels. Les Arméniens ne seraient qu’une minorité de leur pays. Sous l’empire perse, et en partie sous l’empire russe, l’ensemble de ces territoires étaient dirigés par des khans turcophones. L’Arménie, pour sa part, revendique Erevan, Nakhichevan, le Haut-Karabagh et le Zangezour, où les Arméniens sont majoritaires. Ces territoires correspondent à l’Arménie orientale historique, Erevan et Nakhichevan étant considérés comme oblasts arménien au début de l’annexion russe.

Carte de l’Arménie telle qu’elle se représente en 1918, incluant l’Arménie du Traité de Sèvres

La chute de la Transcaucasie marque des indépendances forcées. L’Azerbaïdjan pense obtenir un soutien ottoman total mais la Sublime Porte appuie les turcophones locaux sans reconnaître l’Azerbaïdjan comme Etat indépendant, l’objectif étant à terme l’annexion du territoire. Pour l’Arménie, l’indépendance est d’abord un traumatisme : le pays doit se construire dans l’urgence tout en tenant des guerres face à l’Azerbaïdjan, l’empire ottoman et la Géorgie, sans allié extérieur, et avec une crise de réfugiés fuyant le génocide arménien. Les trois Etats, après moins de deux ans d’existence, sont annexés par l’Union Soviétique, en 1920 pour l’Azerbaïdjan puis l’Arménie, et en 1921 pour la Géorgie.

Des références pour l’indépendance

Après l’annexion, une partie des élites de chaque pays fuit la soviétisation et se réfugie en Europe. Ces élites travaillent dans l’hypothèse d’une indépendance prochaine, soutenue par les pays de l’ouest. Essad Bey écrit en Allemagne le roman Ali et Nino, dépeignant un Azerbaïdjan libre avant l’invasion soviétique. Durant la Seconde Guerre mondiale, les élites géorgiennes, proches de l’Allemagne nazie sont nombreuses, y compris au sein de l’appareil soviétique. Des historiens ont récemment interrogé jusqu’au rôle de Béria, numéro deux du régime stalinien et géorgien d’origine, en faveur d’une Géorgie indépendante durant la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, c’est bien lors de la chute de l’URSS que les Etats du Caucase retrouvent leur modèle de 1918, à commencer par le tracé des frontières. C’est notamment parce que les frontières de 1918 à 1920 étaient floues que de nombreux conflits ont ré-émergé dans la région. Ainsi, l’Abkhazie a été en conflit avec la Géorgie quant à son autonomie durant la première république tandis que le Haut-Karabagh a été revendiqué à la fois par l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

En politique intérieure, l’influence de ce passé d’indépendance est également notable. L’Arménie est l’une des premières République soviétiques à élire un parti non soviétique à l’été 1990, le Mouvement National Pan-Arménien. Néanmoins, elle ne proclame son indépendance qu’après la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Selon Taline Papazian, un tel délai s’explique par le traumatisme de 1918, où il a fallu créer des structures étatiques dans l’urgence. En 1990, le MNPA sait qu’il obtiendra l’indépendance mais prend le temps de consolider les futures institutions de l’Etat. Dans le but de constituer son récit national, l’Azerbaïdjan rappelle quant à lui qu’il est le premier Etat musulman à avoir donné le droit de vote aux femmes, grande source de fierté nationale. Les références à la républiques de 1918 incluent également les revendications de Bakou sur les territoires d’Arménie, considérés comme « terre historique azérie », ainsi qu’un culte de la personnalité envers Heydar Aliyev, père du dictateur actuel. Celui-ci est érigé en héros national, au même titre que Rasulzadeh, tous deux fondateurs d’une République d’Azerbaïdjan.

Il faut néanmoins relativiser le poids des républiques de 1918 dans les situations passées et actuelles de ces pays. Les partis de l’époque, Mencheviks en Géorgie, Dachanktsoutioun en Arménie, Musavat en Azerbaidjan, n’avaient en effet qu’une très faible influence dans chacun des pays. Les trois Etats se sont formées avec les cadres soviétiques, notamment ceux nommés sous Brejnev. Toutefois, des évolutions et des dynamiques locales sont aujourd’hui à noter. La Géorgie, après une guerre civile, a été le théâtre de la révolution des roses en 2003, mettant fin à l’influence russe (ce qui lui a couté l’Abkhazie et l’Ossétie du sud) et renouant avec la vision pro-occidentale qui existait en 1918. Comme au début du 19ème siècle, Tbilissi aspire à s’émanciper de l’orbite russe et à se rapprocher de l’Europe. L’Arménie vient de connaître une révolution de velours, marquant une nouvelle ère pour le pays. Le système oligarchique hérité de l’époque soviétique semble s’effondrer et une ré-appropriation de l’héritage de 1918 est possible. Quant à l’Azerbaïdjan, l’opposition est déçue du gouffre séparant l’idéal de leur première république et la réalité dans laquelle ils vivent.

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