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Attentat au Cachemire et rivalité indo-pakistanaise

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Le 14 février, un attentat suicide fait 41 morts dans le Cachemire indien. La cible est un car où se trouvaient des paramilitaires liés à l’armée indienne, tandis que le groupe terroriste pakistanais Jaish-e Mohammad a revendiqué l’attaque.

Histoire d’un conflit sans fin

Manifestation au Cachemire

Le Cachemire est une région disputée entre l’Inde et le Pakistan. Lors de la partition, l’état jouissait d’un statut spécial et son raja devait décider du sort du royaume. Celui-ci, hindou, demanda le rattachement à l’Inde, tandis que la population majoritairement musulmane demanda le rattachement au Pakistan. Une guerre éclata, entre les deux Etats nouvellement indépendants, et une frontière sépara la région en deux : le Jammu et Cachemire en Inde, l’Azad Kashmir et le Gilgit-Baltistan au Pakistan. La région reste l’enjeu de tensions et de guerres côté indien : en 1962 avec la Chine, en 1965 et 1999 avec le Pakistan.

En 1989, alors que les territoires du nord sont largement déshérités, le Cachemire entre en insurrection. Deux tendances principales s’opposent : les indépendantistes cachemiris et les islamistes, les seconds étant soutenus par le Pakistan. Islamabad pense pouvoir utiliser les techniques de guérilla au Cachemire comme en Afghanistan, où les moudjahidines ont repoussé les Soviétiques. New Delhi répond par une intervention armée qui continue jusqu’à aujourd’hui. Le territoire est largement contrôlé par l’armée indienne, les journalistes y ont peu accès et les exactions envers les populations locales sont régulières. Les nationalistes hindous s’organisent par ailleurs en milices paramilitaires pour seconder l’armée indienne, milices elles aussi réputées pour leurs débordements.

Dans le même temps, les investissements dans le Jammu et Cachemire sont restés minimes, ou réalisés par des entreprises nationales sans profiter aux populations. Un député militant cachemiri, Er Rasheed, qualifiait ainsi la situation du Cachemire en Inde de « coloniale », le Cachemire étant une périphérie au service du centre.

Un attentat qui arrive à point nommé

Cet attentat a été le plus meurtrier en trente ans. Il a également marqué l’opinion indienne par l’origine du groupe responsable : le Jaish-e Mohammad. C’est un groupe pakistanais soutenu par certaines factions des services secrets pakistanais, l’ISI. L’Inde attend désormais des comptes du Pakistan, considéré comme responsable de l’attentat. Le spécialiste du sous-continent indien Christophe Jaffrelot nuance toutefois, dans un article de Libération : si Islamabad a bien une responsabilité, les explosifs n’ont, selon lui, pas pu transiter par la frontière pakistanaise, révélant des défaillances dans la sécurité intérieure indienne.

Cet attentat arrive à un moment où le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, cherche à se rapprocher de l’Inde. Islamabad traverse une crise financière difficile, et ne peut se permettre de se fermer des portes. Le 13 février, un autre attentat était commis contre les Gardiens de la Révolution en Iran. Celui-ci a été revendiqué par un autre groupe pakistanais, le Jaish Al Adl. Dans le même temps, le Pakistan a accepté vingt milliards de dollars d’aide saoudienne, qui veut contrecarrer l’influence régionale iranienne. Imran Khan se trouve au cœur d’un jeu géopolitique, le mettant en situation difficile avec son voisin occidental. L’attentat au Cachemire lui rajoute une difficulté supplémentaire. Sa politique d’ouverture envers New Delhi ne va toutefois pas dans le sens des intérêts d’autres groupes, à commencer par l’armée.

De son côté, l’Inde est dirigée depuis 2014 par les nationalistes hindous du BJP. Ceux-ci ont toutefois accumulé les défaites électorales ces dernières années, alors que les élections générales qui décideront du prochain Premier ministre auront lieu en avril 2019. Cet attentat a un avantage pour le BJP : le parti utiliser sa rhétorique nationaliste et laisser libre cours aux actes anti-musulmans. Plusieurs actes de violences envers des musulmans cachemiris ont déjà eu lieu à travers le pays depuis l’attentat. Dans le même temps, Modi peut accuser Islamabad d’être responsable de l’attentat, sans remettre en question sa politique au Cachemire. La réponse indienne ne s’est d’ailleurs pas faite attendre, une intervention militaire de grande ampleur prend place au Cachemire. Celle-ci ostracise la région plus encore, et ne permet en aucun cas de construire une paix durable. Mais les gains à courts termes sont trop importants.

Sources

« Rasheed-led AIP to receive PM Modi with black flags to protest Centre’s ‘colonial mindset’« , Greater Kashmir, 30 janvier 2019

Laurence Defranoux, « Inde : «On est en train de faire du Cachemire un grand Gaza» », Libération, 18 février 2019

Laurent Gayer, « Mondes rebelles : Asie du Sud. Fondamentalisme, séparatisme maoïsme » Michalon, 2009

 

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