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Le Japon de Suga et les questions de sécurité

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L’imprévisibilité de la diplomatie Trump aura souvent fait « grincer des dents » les officiels nippons, soulignant par la même le besoin d’indépendance sécuritaire du pays. Il est certain que le Japon attend de Joe Biden plus de considération pour l’alliance nippo-américaine que son prédécesseur. Néanmoins, des doutes subsistaient quant à la teneur de sa posture face à la Chine. Des doutes balayés récemment par le nouveau président, au soulagement du gouvernement japonais. C’est sans compter avec la dégradation de la situation intérieure aux États-Unis, qui risque d’accaparer l’administration démocrate pour un temps. Une situation qui ne doit pas pour autant susciter le désintérêt américain pour la région indopacifique. L’absence de leadership, aussi courte soit-elle, serait inacceptable pour l’archipel. En effet, sa sécurité dépend largement de son allié américain. Par conséquent l‘heure n’est pas à l’inertie pour le Japon qui semble prendre les devants en matière de politique extérieure.

La dégradation des rapports avec la Chine

L’engouement affiché de la population chinoise pour la victoire de Suga laissait présager une remise en question des relations sino-japonaises. Les échanges entre les deux pays avaient atteint leur plus bas niveau avant 2014 avant de connaitre une nette amélioration dès 2018. Un redoux néanmoins éphémère : En effet, l’année suivante, l’augmentation des incursions de navires chinois dans les eaux territoriales nippones avaient provoquée l’ire des officiels nippons. Certains d’entre eux n’hésitaient pas à critiquer l’attitude jugée trop conciliante de Shinzo Abé à l’égard de son voisin continental.

L’année 2020 aura contraint les observateurs à encore moins d’optimisme quant à la relation sino-japonaise. L’escalade des tensions en mer de Chine, et la crise de la démocratie à Hong Kong se sont ajoutés aux différends territoriaux irréconciliables[1]. Enfin, des cyberattaques récentes visant des producteurs de vaccins japonais seraient, selon les premières données, originaires de Chine. De quoi sérieusement entacher les rapports entre les deux pays. Ainsi, la nomination de Nobuo Kishi au poste de ministre de la Défense, connu pour son attitude favorable à l’égard de Taïwan, traduit la volonté de Suga de faire preuve de fermeté à l’égard de Beijing. Une volonté qui transparait dans le cadre multilatéral que l’archipel bâtit.

L’implication du Japon dans un vaste jeu d’alliances

Avec pour leitmotiv la sauvegarde d’une région indopacifique ‘libre et ouverte’[2], Suga entend bien ménager ses alliances. Militairement, le japon est impliqué dans le Quadrilateral Security Dialogue, dont l’objectif désavoué est de proposer un contrepoids à la Chine. Les récentes visites du premier ministre nippon au Vietnam puis en Indonésie relèvent de cette même volonté de contrer l’influence grandissante de Beijing. Tokyo a signé récemment plusieurs accords portant sur l’échange d’équipements militaires avec des puissances attenantes à la Chine. Le Japon poursuit ainsi la construction d’une véritable coalition d’États initiée avec l’Inde, acteur majeur de la région, en septembre dernier.

Un accord similaire avec l’Australie est en cours de finalisation. Ce dernier devrait permettre l’établissement d’un partenariat de défense approfondis entre les deux nations. Comme avec l’Inde, l’accord devrait faciliter la coopération militaire entre les deux puissances et encourager les manœuvres conjointes dans la zone. Dès lors la multiplication des engagements internationaux en matière de défense demeure fondamentale pour Suga. Il s’agit d’établir un cadre suffisamment dissuasif afin de contrer les ambitions territoriales chinoises. Le pays désire peser face à la Chine, dont l’appareil militaire supplante largement celui de l’archipel. Une quête de crédibilité pour Tokyo, qui passe notamment par la détention d’un potentiel de guerre significatif.

Sur fonds de renouveau de son appareillage militaire

En Octobre le Japon a inauguré un nouveau type de sous-marin dans le port de Kobé
En Octobre le Japon a inauguré un nouveau type de sous-marin dans le port de Kobé

Le dilemme de sécurité que la montée en puissance de la Chine et l’attitude de la Corée du Nord a créé pour le Japon et les États voisins n’est plus un mystère.

C’est donc sans réelle surprise que l’archipel entreprend depuis 2019 le renouvellement de son appareillage militaire. Validée mi-2020, une commande massive de 105 chasseurs F35 auprès du constructeur Lockeed Martin vient ainsi accompagner celles de deux frégates. A cela s’ajoute la livraison du premier d’une nouvelle génération de sous-marin de classe Taigei. Enfin, Tokyo a le soucis de gagner plus d’indépendance vis à vis de son allié américain. Ainsi, la société Mitsubishi s’est vue confiée en novembre l’entièreté du développement de nouveaux chasseurs furtifs ultra-modernes F-3.

Le Japon prévoit par ailleurs d’attribuer un budget record à sa défense. En Avril 2021 devrait ainsi être accordés 52 milliards de dollars à la sécurité du pays. Cela représente une hausse de 3,6% par rapport à l’actuel budget. Une hausse qui demeure néanmoins cohérente avec ce que l’on peut observer ailleurs à l’international. Celle-ci devrait permettre au pays de poursuivre la mise à niveau de ses capacités défensives dans les domaines cybernétique et spatial, où il accuse toujours un retard.

Quelques soient les orientations prises par son allié américain, le Japon a conscience que le maintien de son appareil militaire est fondamental. C’est donc plus que jamais un Japon désireux de prendre les devants en matière de défense qui se dessine. Pour autant, pas question de se confronter frontalement à Beijing. En ce sens, la participation du Japon au Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), accord commercial majeur proposé par la Chine, procède d’un pragmatisme nécessaire.

 

Références

[1] Le ministre chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, affirmait encore le 11 Mai 2020 que « (…) les îles Diaoyu et ses îlots adjacents font partie intégrante du territoire chinois (…) » Le Japon affirmant le contraire, déplorait début Novembre la présence quasi-ininterrompue des navires garde-côte chinois à proximité des îles disputées.

[2] « Free and open indo pacific area »

A. Townshend, B. Thomas-Noone, M. Steward, Averting Crisis: American strategy, military spending and collective defence in the Indo-Pacific, University of Sydney-based United States Studies Centre (USSC), 19 August 2019. En ligne: https://www.ussc.edu.au/analysis/averting-crisis-american-strategy-military-spending-and-collective-defence-in-the-indo-pacific

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William LETRONE

William Letrone est chercheur postdoc au CNRS, au sein de l'unité DCS de l'université de Nantes. Il est membre du projet iPOP, et travaille actuellement sur les questions juridiques liées aux menaces cyber et à l'intelligence artificielle.

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