La Bolivie socialiste d’après Morales
Après une victoire démocratique sans précédent, la Bolivie prend une nouvelle direction politique. Le gouvernement socialiste de Luis Arce revient vers des politiques de redistribution massive des richesses. Mais il va aussi devoir faire face au ralentissement rapide de l’économie, amplifié par la crise du Covid.
La victoire inattendue du MAS
Le 18 octobre, un an après le retrait forcé du président Evo Morales, les urnes ont parlé. Luis Arce, le candidat du MAS (Mouvement d’Action vers le Socialisme) est élu dès le premier tour avec 55,1% des voix. Alors que la participation dépasse les 88%, cette victoire écrasante montre qu’une majorité de Boliviens veut voir se poursuivre le modèle de croissance économique et d’inclusion sociale, appliqué par Morales. Tout en prenant de la distance avec l’ancien chef de l’État.
Luis Arce n’entend pas gouverner dans l’ombre de son prédécesseur. L’ancien ministre de l’économie n’a pas mentionné Morales lors de son discours d’institution présidentielle, ce 8 novembre. Il n’a pas non plus assisté au retour dans le pays de ce dernier qui a pu rentrer en Bolivie après plusieurs mois d’exil en Argentine. Le 9 novembre, dans un geste hautement symbolique, Morales a traversé à pied le pont trans-frontalier entre les deux pays, accompagné du côté argentin par le président Alberto Fernandez. Côté bolivien, il a été accueilli par des milliers de sympathisants, dont de nombreux Amérindiens.
Les résultats électoraux, tant impressionnants qu’inattendus, rappellent par ailleurs la première élection d’Evo Morales au pouvoir. L’époque de l’ex-président est pourtant bien révolue. Alors comment expliquer cette victoire du MAS ?
Un bilan globalement positif
Luis Arce a dépassé son adversaire Carlos Mesa de plus de 25 points. Cet écart laisse tout d’abord penser que les élections d’octobre 2019 auraient pu donner la victoire au MAS. Très controversées, elles avaient été condamnées par l’OAS (Organization of American States) pour fraude. Ce rapport a depuis été mis en doute. Face à la vague démocratique qui a entouré ce nouveau scrutin très attendu, le gouvernement en place n’a cette fois pas eu d’autre choix que d’accepter sa défaite. En effet, renier ces résultats aurait risqué de plonger le pays dans une guerre civile.
Ensuite, le bilan des treize ans de présidence Morales (2006-2019) est globalement positif. Ce, malgré des points contestables, tel le référendum bafoué de 2016. D’un point de vue économique, la nationalisation des sociétés d’extraction d’hydrocarbures a permis au président de financer de nombreux programmes sociaux. Les retombées économiques de l’exploitation minière sont lentes et les conséquences écologiques se font sentir, cependant le niveau de pauvreté a baissé drastiquement et le PIB s’est multiplié par 4 en dix ans. La révolution de Morales est aussi indéniablement culturelle. Premier président indigène, il met en place un état plurinational et lutte contre la discrimination.
Le MAS mais sans Morales
Le MAS a su se distancier de certaines pratiques clientélistes en engageant les jeunes : Par exemple, Andronico Rodriguez, dirigeant paysan de 31 ans. De plus, une grande partie de la population a vu son niveau et sa qualité de vie s’améliorer considérablement sous Morales. Ce sont ces classes moyennes et populaires qui souhaitent voir se poursuivre un programme axé sur la croissance, la baisse de la pauvreté et du chômage et la réduction des inégalités.
Jeanine Añez a quant à elle fait craindre aux indigènes, qui représentent 40% de la population, un retour aux discriminations et à l’isolement politico-social. La présidente sortante a rapidement perdu sa légitimité en repoussant les élections par trois fois. A sa prise de pouvoir très contestée s’est ajoutée une série de scandales de corruption, d’abus de justice et de racisme. On lui a fréquemment reproché l’usage à outrance des symboles catholiques dans un cadre politique. Enfin, son manque de gestion de la crise économique et sanitaire qui touche actuellement le pays a fini d’inquiéter les classes moyennes.
Des enjeux de taille
La tâche à venir promet de ne pas être facile. Le MAS va devoir gérer une crise économique de taille, amplifiée par la pandémie de coronavirus. La Bolivie a été particulièrement touchée par le virus. Le taux de contamination chez les peuples indigènes est très élevé, alors qu’en ville le chômage est en hausse. Luis Arce devra également veiller au respect de la séparation des pouvoirs pour éviter de nouveaux scandales de corruption. Enfin, cette année de vide démocratique a mis à mal l’unité du pays. Des discours de haine, provenant de l’extrême droite catholique se sont multipliés, exacerbant les clivages ethniques et sociaux. La Bolivie compte cependant de nombreux alliés, dont le Mexique et l’Argentine. Ces trois pays pourraient reprendre ensemble une forme de leadership, ce qui rééquilibrerait les raports de force dans la région.