L’Iran vers une troisième force en Asie centrale ? (2/3)
Un voisin associé ou concurrent ?
Le Turkménistan est le 6e plus gros producteur mondial de gaz naturel. Il est certes derrière l’Iran, mais dispose d’un important potentiel compte tenu de la diversité de ses activités économiques. L’Iran reste le deuxième partenaire du Turkménistan derrière la Russie en matière d’importation et de la Chine en exportation.
La Saoudienne centre-asiatique forte de ses ressources naturelles (17,5 trillions de mètres cube de gaz) donne un alibi supplémentaire au régime iranien pour passer à l’étape supérieure d’une coopération d’infrastructures. Son but est d’en faire une pièce dans son échiquier contre son grand rival saoudien. C’est aussi un appel d’air contre les sanctions venant des États-Unis. Comme pour Douchanbé, Téhéran a été le premier pays à reconnaître Achgabat. C’est une véritable course à la reconnaissance auquel l’Iran a voulu jouer dans les années 1990.
La dette, un instrument de gel diplomatique
La politique de diversification des gazoducs par Niyazov a emmené la relation turkméno-iranienne vers une coopération énergétique. Elle s’est faite notamment avec l’ouverture d’un gazoduc dès 1997 puis d’un nouveau en 2010. Cependant, 20 ans d’accords dans le domaine gazier n’ont pas suffi à maintenir une relation stable entre les deux régimes. Pour cause, l’augmentation drastique du prix du gaz turkmène en hiver 2006. Achgabat a par la suite réclamé 2 milliards de dollars à Téhéran pour motif de non-remboursement. Le régime iranien a réfuté la hauteur de la dette.
En réponse le Turkménistan a coupé ses exportations de gaz avec son voisin de la Caspienne en 2016. Le deal est toujours en négociation à la cour d’arbitrage international et l’Iran en a profité pour se lancer dans la construction en 2017 d’un gazoduc dans la région du Khorasan. Celui-ci est censé apporter du gaz en plus grande quantité et en meilleure qualité que ce qu’Achgabat lui fournissait.
L’Iran entraîné vers le trou noir mondial ?
L’Afghanistan, éternel État tampon du monde, est en proie à de multiples influences. Intérieures d’une part dues à l’attraction de la radicalité islamique et l’hétérogénéité ethnique de son territoire qui vient cristalliser des tensions intercommunautaires au sein même de l’appareil politique. De plus, il y a une pression extérieure via la présence américaine, pakistanaise, indienne, chinoise, russe et saoudienne. Difficile pour l’Iran de se frayer une place dans le « trou noir mondial » qu’est l’Afghanistan.
Pourtant, l’Iran joue sur l’Histoire (l’ouest de l’Afghanistan comme la ville d’Herat abrite le cœur de l’Empire perse du 19ème siècle) et leur rapport culturel et linguistique très intime pour se créer une place en Afghanistan. L’Iran cherche notamment à se rapprocher de la communauté Tadjik, mais aussi et surtout des Hazaras, 3ème plus grande ethnie d’Afghanistan de confession chiite. Elle détient pareillement une langue, le dari, très similaire au farsi parlé en Iran. Il soutient la communauté à cœur et âme par la construction de mosquées, d’universités et par des dons à des associations locales. Son poids démographique et politique avec l’exemple du leader Karim Khalili ou encore d’Asif Mohseni permet à l’Iran de jouer d’une représentation à travers les Hazara. Un moyen pour l’Iran de placer ses ambitions au cœur du territoire afghan.
Le jeu dangereux iranien
La stratégie iranienne est en réalité double et contraire paradoxalement. Elle se doit d’avoir le pion afghan dans son échiquier car la présence des États-Unis représente un danger sur ses frontières. L’Iran redoute via le stationnement des troupes américaines un encerclement stratégique. De plus, elle veut à la fois la stabilité de son pays et éviter l’immigration afghane sur son territoire pour assurer sa propre sécurité démographique et politique. On compte déjà à titre d’exemple plus de 2 millions d’afghans installés en Iran. Mais par la même occasion, l’Iran souhaite renverser son équilibre en soutenant les talibans et l’opposition.
L’Iran se doit d’internaliser les problèmes politiques afghans afin de protéger les pays périphériques du fléau terroriste et du trafic de drogue. Ce qui par conséquent pourrait nuire au commerce iranien en Asie centrale. L’Iran est le premier concerné par le danger terroriste. En effet selon l’index mondial du terrorisme, les pays avec le taux le plus élevé en 2019 sont l’Afghanistan (9.603), l’Irak (9.241), la Syrie (8.006), et le Pakistan (7.889). Cette ceinture explosive à laquelle l’Iran est confronté l’oblige à privilégier ses appuis sur Kaboul. L’Afghanistan n’est certes pas le plus grand partenaire iranien mais il reste incontournable par sa position géostratégique plus que par intérêt économique.