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Corruption : le scandale Odebrecht secoue l’Amérique et l’Afrique

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Ramification du scandale Petrobras qui a tancé le gouvernement brésilien de Dilma Rousseff jusqu’à sa destitution en août 2016, l’affaire liée à l’entreprise Odebrecht a révélé des cas de corruption de gouvernements des deux côtés de l’Atlantique sud, en particulier en Amérique latine. Retour sur les origines d’un nouveau scandale financier sur la scène internationale et ses possibles répercussions.

Statut du Christ de Lima, érigé en 2011 grâce à des fonds issus de l’entreprise Odebrecht

L’origine de la crise brésilienne date d’une opération anti-corruption de grande envergure menée par la justice brésilienne à partir de mars 2014 surnommée « Lava Jato » (« lavage express »). Il fut alors mis en évidence le Petrolão : un vaste système de commissions accordées à des responsables politiques en échange d’un favoritisme dans l’octroi de marchés publics de la part du géant brésilien Petrobras et de ses nombreuses filiales. Odebrecht est justement l’une des entreprises qui, parmi d’autres, bénéficiaient de ces appels d’offres faussés dans le secteur du BTP. La surfacturation de ces marchés permettaient ainsi aux dirigeants de Petrobras et ses filiales de réaliser d’immenses profits et de corrompre encore davantage les hommes politiques. Un cercle « vertueux » en somme du point de vue des finances de ces multinationales, jusqu’à ce que le scandale n’éclate et que le système mis en place ne s’écroule. Petite entreprise familiale brésilienne devenue multinationale du BTP coté à Wall Street et présente dans une trentaine de pays, Odebrecht est pour sa part accusée d’avoir versé environ 800 millions de dollars en pots de vin pour favoriser l’obtention de marchés publics. Marcelo Odebrecht, l’héritier du groupe, s’est résolu à collaborer avec la justice pour obtenir une diminution de sa peine de prison en avouant les faits qui lui sont reprochés, aboutissant à une amende de plus de 3,5 milliards de dollars pour son entreprise.

La crise politique liée à ces révélations couplée à la récession traversée par le pays a notamment abouti à la destitution de la présidente Dilma Rousseff le 31 août 2016 au profit de son vice-président Michel Temer. Ce dernier, ancien allié de gouvernement de Rousseff malgré leurs différences idéologiques, est dans une position des plus précaires puisque son parti est accusé d’avoir financé des campagnes grâce à des fonds provenant d’Odebrecht. Il ne peut actuellement plus compter que sur une approbation de 10% de la population d’après les dernières enquêtes d’opinion. D’ailleurs, il s’est permis de nommer l’un de ses ministres les plus proches – lui même soupçonné de malversations – à la Cour Suprême afin de ralentir les investigations.

On aurait pu penser que le scandale lié à Petrobras soit circonscrit au seul Brésil. Sauf qu’avec la ramification de l’affaire liée à Odebrecht, le scandale de corruption prend une dimension internationale. L’affaire ébranle actuellement le Pérou : l’ancien président Alejandro Toledo, en poste de 2001 à 2006, fait en outre l’objet d’un mandat d’arrêt international après que le dirigeant de la branche péruvienne d’Odebrecht ait dit aux enquêteurs avoir donné une vingtaine de millions de dollars à son entourage. Le problème, c’est que le nouveau président élu en 2016, Pedro Pablo Kuzcynski, était à l’époque son premier ministre. Ce qui ne fait que renforcer le blocage politique du pays depuis les dernières élections, puisque le parti de Kuzcynski est largement minoritaire au Congrès, dominé par le parti de droite de Keiko Fujimori. Au Panama, des accusations pour financement illégal de campagne électorale ont été lancées envers Juan Carlos Varela, élu en 2014, après l’arrestation d’un ancien conseiller à la présidence pour blanchiment d’argent. En Colombie, c’est le président Juan Manuel Santos, récemment récompensé par le prix Nobel de la paix pour son implication à la résolution du conflit avec les FARC, qui doit faire face aux mêmes accusations. En Argentine, des proches de Mauricio Macri, déjà mentionné dans le cadre des Panama Papers, sont également mis en cause. Les cadres d’Odebrecht ont également avoué que le l’argent avait été versé à des dirigeants au Venezuela, en République Dominicaine, en Angola, en Équateur ou au Mozambique.

Ce sont donc de nombreux pays qui sont actuellement ébranlés par la révélation d’une corruption de masse parmi les élites gouvernementales latino-américaines et africaines. Les ramifications de ces affaires sont nombreuses et pourraient aboutir à l’avenir à de nouvelles informations. L’annulation de la construction d’une autoroute entre le Brésil et la Colombie, d’un projet de gazoduc chiffré à 7 milliards de dollars au Pérou – qui pourrait amputer d’un point dans la croissance du pays – et l’exclusion d’Odebrecht de toute offre de marché public ne sont que les conséquences immédiates d’une vague qui pourrait emporter sur sa route plusieurs gouvernements à l’avenir alors que l’Amérique latine subit déjà une transition politique difficile liée en partie à son ralentissement économique.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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