La stratégie de diversification des exportations de gaz naturel du Turkménistan
Le 22 janvier 2018, le Président turkménistanais Gourbangouly Berdimoukhamedov a rencontré l’ambassadeur indien Naguendra Prasad. En plus de questions concernant l’état actuel des relations turkménistano-indiennes, le projet du gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI) a été évoqué. Ce projet, conçu il y a environ 25 ans poursuit un objectif majeur du Turkménistan visant à diversifier ses exportations de gaz naturel, ce que avait été souligné notamment le 24 janvier par l’ambassadeur turkménistanais en Azerbaïdjan Mékan Ichankoulïev.
Le Turkménistan et ses partenaires
L’arrivée au pouvoir de Gourbangouly Berdimoukhamedov en 2006 a mis fin à une longue période de la politique isolationniste du Turkménistan, sans pour autant démocratiser le régime autoritaire. Le choix d’ouverture du Turkménistan a été dans une grande mesure déterminé par la nécessité de diversifier ses exportations de gaz naturel.
Le gisement de Galkynych, situé au sud-ouest du Turkménistan, est l’un des plus grands gisements de gaz au monde. Pourtant, Achgabat, dont la politique étrangère énergétique a été marquée par plusieurs conflits, ne bénéficie pas entièrement de cet avantage, notamment en raison de relations de dépendance énergétique vis-à-vis de ses partenaires.
En 2008, le client principal du Turkménistan était le russe Gazprom qui achetait plus de 40 milliards de mètres cubes annuellement. Pourtant, l’absence de compromis concernant le prix de gaz turkménistanais a abouti à une interruption des approvisionnements suite à un accident sur le gazoduc Srednyaya Azia – Tsentr (« Asie moyenne – Centre »). Après qu’une plainte avait été déposée par la Russie à la Cour internationale d’arbitrage de Stockholm, la coopération de celle-ci avec le Turkménistan a pris fin en 2016.
Par ailleurs, un autre conflit a éclaté à l’hiver 2007-2008 entre le Turkménistan et l’Iran, provoqué par l’échec des négociations sur le prix du gaz qui avait été doublé par Achgabat. Par la suite, plusieurs provinces du nord de l’Iran avaient été privées de gaz en plein hiver. Le même scénario s’est reproduit en 2017, quand le Turkménistan a cessé la fourniture de gaz à l’Iran en réclamant 1.8 milliards USD de dette, non-reconnue par ce dernier.
Aujourd’hui, les exportations de gaz turkménistanais sont destinées principalement à la Chine, qui, dans le cadre de son projet de la nouvelle route de la soie, a construit trois lignes (A, B et C) de gazoduc en l’Asie centrale, acheminant ainsi environ 30 milliards de mètres cubes par an. Cependant, non seulement le projet d’ajout d’une quatrième ligne (D) a été ajourné, mais le prix pour lequel la Chine achète le gaz turkménistanais a baissé, en 2016, de manière significative, passant de 160 à 100 USD pour mille mètres cubes. Prenant en compte le fait que le Turkménistan est lourdement endetté vis-à-vis de la Chine, celui-ci se trouve dans une position vulnérable.
Le TAPI présente-il une solution de sortie de crise?
Alors que les exportations de gaz naturel constituent à peu près 80% des revenus du Turkménistan, celui-ci se trouve dans une situation de forte dépendance des dynamiques des prix des hydrocarbures sur le marché mondial. Au vu de la récente baisse des prix, le pays se trouve dans une crise économique assez grave. Dans ce contexte, le projet du TAPI ouvre au Turkménistan une possibilité de diversifier les destinataires de ses ressources énergétiques, en acheminant 33 milliards de mètres cubes par an, dont 16% auront pour destination l’Afghanistan et 42% le Pakistan et l’Inde respectivement.
En plus d’être une réponse aux besoins énergétiques croissants des pays de l’Asie du Sud, le TAPI traduit également des enjeux géopolitiques majeurs. Connu comme « pipeline de la paix », le gazoduc relie les États qui sont affectés par des contextes sécuritaires dégradés. Les confrontations qui se jouent entre le Pakistan et l’Afghanistan d’une part et le Pakistan et l’Inde (préoccupée par la montée en puissance de la Chine dans la région) d’autre part, ralentissent sérieusement la mise en œuvre du TAPI. En outre, le fait que ce pipeline va passer par la région afghane de Kandahar et la région pakistanaise de Quetta pose davantage de problèmes sécuritaires et implique ainsi un risque de déstabilisation de la région. Bien que les négociations soient en cours depuis presque un quart de siècle, les travaux de construction n’ont démarré qu’en 2015, ce qui a provoqué un scepticisme général autour du projet TAPI.
Toutefois, plusieurs facteurs incitent à l’optimisme, notamment l’élargissement du cercle des investisseurs intéressés par le projet. En l’occurrence, il s’agit de l’accord sur le financement du TAPI signé en novembre 2017 entre le Fonds de développement de l’Arabie Saoudite et le Turkménistan. Pourtant, alors que la mise en œuvre définitive du TAPI devient de plus en plus envisageable, la question du fonctionnement du gazoduc entre quatre pays présentant des contextes locaux aussi complexes reste en suspens.