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En coulisses de la WIC de Wuzhen, la question du leadership technologique et de la censure

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La 5e World Internet Conference (WIC) s’est tenue du 6 au 9 novembre à Wuzhen, dans la province du Zhejiang. Bien qu’ayant rassemblé un nombre important de représentants gouvernementaux et d’acteurs du secteur internet, cette édition a été marquée par une couverture médiatique moins importante et une présence américaine réduite. Au-delà de l’analyse du contexte de tensions entre Chine et États-Unis, la question de potentielles dérives autoritaires se pose. En effet, le secteur technologique dans son ensemble fait l’objet d’une stratégie majeure de la part de Pékin. Le pays a compris qu’il s’agissait d’un outil de puissance global et crucial pour le futur.

5e édition de la WIC de Wuzhen.
5e édition de la WIC de Wuzhen. (Crédits VPG)

« Créer un monde digital de confiance mutuelle et de gouvernance collective – Vers une communauté dotée d’un futur commun dans le cyberespace » était le thème ambitieux et optimiste de la 5e World Internet Conference de Wuzhen. Conjointement organisé par l’Administration du Cyberespace de Chine et le gouvernement populaire de la province du Zhejiang, l’événement a accueilli environ 1500 participants originaires de 76 pays. Des délégations gouvernementales, des acteurs du monde d’internet, des organisations internationales ont fait le déplacement afin d’échanger autour de sujets divers tels que l’accélération de l’innovation, la fracture numérique ou encore l’économie digitale[1].

Une course au leadership technologique au cœur des tensions Chine-États-Unis

Le contexte de tensions commerciales avec les États-Unis semble avoir eu quelques conséquences sur la conférence, et sa visibilité. La précédente édition avait bénéficié de la présence et des allocutions de Tim Cook et de Sundar Pichai, rien de moins que les CEO d’Apple et Google. Cette année, la liste américaine d’acteurs d’importances du secteur est considérablement réduite[2].

Le sujet technologique est particulièrement sensible entre Pékin et Washington. La récente « fusion militaire-civil » annoncée par Xi Jinping a notamment soulevé de grandes inquiétudes chez le concurrent américain. Il s’agit de transmettre l’expertise technologique du secteur privé, particulièrement en matière d’IA, au domaine militaire. Le 8 octobre 2018, lors d’une intervention au Hudson Institute, Mike Pence a accusé la Chine de mener une politique de non-réciprocité et « d’organiser massivement le vol de technologies américaines, y compris  des plans militaires à la pointe de la technologie »[3].

Le vice-président faisait en partie référence aux conditions d’implantation des entreprises étrangères en Chine. Le processus implique systématiquement un transfert de connaissances technologiques, face à une ouverture économique américaine aux étrangers plus large. Ainsi, une technologie d’image pour le civil comme le selfie pourrait être détournée à des fins militaires dans un but de ciblage par exemple. Ces inquiétudes jouent un grand rôle dans les tensions actuelles, et à travers cela dans l’absence de présence américaine notable à la WIC de Wuzhen.

Session plénière de la 5e WIC.
Session plénière de la 5e WIC. (Crédits Chen Yehua/Xinhua)

Une technologie omniprésente dans la population chinoise, un contrôle omniprésent par le gouvernement

En parallèle, internet fait l’objet d’une préoccupation croissante pour le gouvernement chinois. En décembre 2017, le pays est officiellement au 1er rang mondial en nombre d’internautes. 772 millions de personnes seraient connectées à internet. Ainsi, payer ses achats, échanger sur les réseaux sociaux, prendre le métro uniquement via son smartphone est désormais courant en Chine. 65 % de la population utilise son mobile pour effectuer des achats dans la vie réelle. La politique de développement économique accorde ainsi une place majeure aux TIC et vise, à long terme, un vrai leadership[4].

Aussi, la question de la censure est omniprésente. Depuis 2018, une nouvelle réglementation impose à toute communication numérique de passer par les canaux autorisés par le gouvernement. On peut distinguer plusieurs niveaux de censure à travers les actions de contrôle gouvernemental. Le « Grand Firewall » qui censure les sites étrangers, et la censure par mots-clés de textes et même d’images.

Le gouvernement justifie ces dispositifs auprès de la population sur des arguments de sécurité nationale principalement. La stabilité, le maintien de l’ordre et d’une union collective constituent d’autant plus des concepts forts dans un pays démantelé par les puissances occidentales au XIXe siècle. L’instabilité et la division de la Chine de l’époque ont grandement participé à permettre cette « humiliation ». Un argument toujours utilisé par Xi Jinping et le PCC, et qui conserve un écho important. Cependant, une opposition existe néanmoins, d’autant plus que cette surveillance prend des proportions importantes comme avec l’installation de caméras capables de reconnaissance faciale dans certaines villes du Xinjiang, à l’ouest du pays[5].

Que veut Pékin ?

Pékin place en avant la perspective d’un monde numérique commun à la gouvernance partagée et qui bénéficierait à tous. Mais finalement, la stratégie demeure bel et bien d’acquérir un leadership dans la course technologique qui se déroule. Il s’agit du secteur-clé de notre avenir mondial, qui concerne le domaine militaire, social et économique. La question de possibles dérives totalitaires du contrôle gouvernemental se pose. La réponse se mesurera à la réaction de la population à l’avenir, qui pourrait évoluer dans son rapport à la vie privée.

Sources :

[1] Wuzhen World Internet Conference

[2] GAN Nectar, « China reasserts its right to manage the internet its own way », South China Morning Post, 8 novembre 2018.

[3] Hudson Institute, « Vice-president Mike Pence’s remarks on administration’s policy towards China », 4 octobre 2018.

[4] Entretien de Thomas Delage avec Anna Zyw Melo, « Une société 2.0 sous l’œil du Big Brother de Pékin », Diplomatie, Les Grands Dossiers n°45, pp. 17 – 20, juin-juillet 2018.

[5] Ibid.

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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