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L’heure du bilan pour l’opération Barkhane : une relève introuvable

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Annoncée depuis le mois de juin 2021, la fin de l’opération Barkhane au Mali est désormais actée. Cette décision intervient dans un contexte de tension entre Paris et Bamako, seulement deux semaines après la décision du renvoi de l’ambassadeur français par les autorités maliennes. Plus inquiétant, l’essor de la Russie comme nouveau partenaire stratégique du Mali représente une menace pour la stabilité déjà fragile de la région.

 

Le succès militaire de Serval

Le 11 janvier 2013, la France lançait l’opération Serval à la demande du président malien par intérim, Dioncounda Traoré, qui reconnaissait l’incapacité de l’État malien à stopper l’offensive djihadiste du Nord en direction de Bamako. Au niveau opérationnel, l’engagement français au Mali s’articule autour d’une action coordonnée entre les forces spéciales, dans le cadre de la Task Force Sabre, et les forces conventionnelles regroupées au sein des GTIA[1]. Les premières mènent des opérations coup de force dans des zones à risque nécessitant des manœuvres techniques (élimination d’une cible à haute valeur), quand les secondes sécurisent un périmètre de façon durable (traque et destruction des sanctuaires terroristes).

Succès militaire incontestable pour la France, Serval a permis en moins d’un mois (du 11 au 28 janvier) de reprendre les villes du Nord Mali aux mains des djihadistes. Mais dès l’été 2013, il apparaît nécessaire d’étendre le rayon d’action militaire au-delà du Mali pour détruire durablement les réseaux djihadistes qui s’implantent progressivement dans tout le Sahel.

 

Un rappel des objectifs de Barkhane

Cette approche régionale s’impose lorsque l’opération Barkhane succède à Serval le 1er août 2014, et dont l’objectif est de « contenir l’activité des « groupes armés terroristes (GAT) » à un niveau de menace faible jusqu’à ce que les forces armées locales puissent assurer elles-mêmes cette mission, dans le cadre d’une autorité restaurée des États sur l’ensemble de leur territoire[2] ». À travers cet objectif, Barkhane représente le volet strictement militaire d’une stratégie plus globale et résolument politique, impliquant les États africains concernés (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad).

Autrement dit, l’aide militaire de la France n’a pas vocation à se substituer à l’action politique des États du G5 Sahel pour développer leurs capacités de défense, contrôler les frontières et assurer un accès aux services de base à des populations sous-développées et victimes de la mal-gouvernance. Aux côtés de Barkhane, la Task Force Takuba, composée de forces spéciales européennes, est lancée en janvier 2020[3] afin d’accompagner les forces locales au combat.

 

L’échec du retour de l’État

Dans ce cadre, la réussite de l’opération Barkhane dépend de la capacité des forces armées locales à reprendre le contrôle de leurs territoires. De mars 2020 à janvier 2021, trois opérations conjointes entre les forces française, malienne et nigérienne (Monclar, Bourrasque, Eclipse) ont permis de contrôler temporairement le terrain et de réduire considérablement l’influence de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) dans la zone des trois frontières[4] (Mali, Burkina Faso, Niger). Ces opérations témoignent de l’efficacité du modèle tactique d’intégration, où les unités françaises et africaines (FAN et FAMa[5]) sont déployées ensemble sur le terrain.

Mais malgré ces succès opérationnels, force est de constater l’échec, moins militaire que politique, de la stabilisation au Sahel : des forces armées africaines trop faibles pour assurer le contrôle de leurs territoires, la persistance de la menace terroriste progressant vers le Golfe de Guinée, des coups d’État à répétition, et surtout, des populations éreintées par l’insécurité grandissante et l’absence de changement. L’absence d’une volonté forte des dirigeants maliens et l’instabilité politique chronique sont les premiers obstacles à l’objectif de stabilisation, qu’une opération militaire ne saurait pallier.

 

Des conditions d’engagement devenues défavorables

Ainsi, après 9 ans de présence au Mali, les conditions d’engagement ne semblent plus réunies. Depuis l’annonce de la réorganisation du dispositif militaire français en juin 2021, qualifié « d’abandon en plein vol » par le Premier ministre malien[6], les signes d’hostilité entre Paris et Bamako n’ont cessé de croître. L’élan « souverainiste » des nouvelles autorités issues du Putsch de mai 2021, s’est surtout traduit par une défiance à l’encontre des partenaires européens, exprimée à travers la demande de retrait du contingent danois de la force Takuba (24 janvier) et le récent renvoi de l’ambassadeur français (1er février).

À l’inverse, la Russie est désormais qualifiée de « partenaire stratégique[7] » et profite de ce reflux occidental pour s’implanter au Mali par le biais des mercenaires de la société Wagner. En effet, le pays figure dans la liste des priorités de la SMP[8], au même titre que d’autres ex-colonies françaises (Cameroun, Burkina Faso). Loin de contribuer à la stabilité régionale, la présence de Wagner s’inscrit dans une stratégie d’influence visant avant tout à nuire aux intérêts occidentaux en Afrique. En échange d’une protection militaire du gouvernement en place, l’objectif est tirer profit de l’exploitation des ressources du pays hôte[9] par l’obtention des droits d’exploitation miniers.

 

Ainsi, il convient d’insister sur un point : sur le plan stratégique, l’opération Barkhane n’a jamais été plus qu’une partie de la réponse aux problématiques sécuritaires de la région. Son objectif n’était pas de remplacer l’armée malienne dans sa fonction de contrôle du territoire, mais bien d’accompagner sa montée en puissance pour que l’État reprenne ses droits. Le retrait actuel du Mali représente bel et bien un aveu d’échec, celui de n’avoir su trouver des partenaires locaux à la hauteur des enjeux politiques. Enfin, le choix de rompre avec la France pour mieux se rapprocher de la Russie, interroge sur la volonté d’indépendance pourtant affichée du gouvernement malien.

 

Paris, le 27 février 2022.

[1] Groupement tactiques interarmes. Regroupement d’unités des différentes armes (infanterie, artillerie, cavalerie, génie) aux spécialités complémentaires, autour d’un régiment qui en est le noyau. Ils atteignent le nombre de 4 en 2013.

[2] GOYA Michel, « Barkhane. Une analyse de l’engagement militaire français au Sahel » (2020), février 2022.

[3] Cette décision intervient à l’issue du Sommet de Pau les 13 et 14 janvier 2020 où les partenaires européens et africains prennent acte de la dégradation de la situation. La force Barkhane est également renforcée par l’envoi de 600 soldats supplémentaires pour atteindre un total de 5100 soldats, son plus haut niveau d’engagement.

[4] Audition du général Stéphane Mille à la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, 2 décembre 2020.

[5] Forces armées nigériennes (FAN) et Forces armées maliennes (FAMa).

[6] Discours de Choguel Kokalla Maïga à l’Assemblée générale des Nations Unies, le 25 septembre 2021.

[7] Interview de Choguel Kokalla Maïga pour France 24, le 23 février 2022.

[8] Société militaire privée.

[9] Voir le reportage de France TV 5, « Wagner, les hommes de l’ombre de Poutine », Le monde en face, 20 février 2022. La stratégie de Wagner s’articule autour de trois piliers : intervenir militairement pour consolider le pouvoir local, générer du profit en obtenant les droits d’exploitation miniers (moyen de paiement des mercenaires) et mener des campagnes de désinformation massives pour attiser le sentiment anti-français.

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Martin HEBERT

Diplômé en histoire et en droit public, Martin est passionné par l'étude de la guerre et des conflits armés dans les relations internationales. Il s'intéresse en particulier au terrorisme et aux questions sécuritaires en Afrique de l'Ouest.

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