Vague de contestations en Irak et au Liban : tensions Irano-américaines en Irak (2/2)
Depuis octobre 2019 d’importants mouvements de contestation agitent le proche Orient. Au Liban, si le confinement des populations a réduit l’activité dans les rues, la colère ne se tarit pas. La sévère crise économique et sociale qui touche le pays a été aggravée par l’épidémie. En Irak, le mouvement de contestation se trouve lui aussi réduit temporairement au silence. Ce qui n’a pas empêché la nomination de Moustafa al-Kazimi au poste de Premier ministre ce 9 avril 2020. A cela s’ajoutent les tensions irano-américaines montantes.
Un gouvernement sous tension
Le 9 avril 2020, en pleine crise sanitaire, Moustafa al-Kazimi est nommé Premier ministre. Le chef des renseignements irakiens est le troisième à prendre ce poste en cinq mois. L’Irak est en effet au cœur d’un violent mouvement social depuis le 1er octobre 2019. Plus d’un millier de manifestants s’étaient alors rassemblés à Bagdad et dans des villes du sud. Ils demandaient la fin de la corruption, du chômage et de la déliquescence des services publics.
Malgré une répression violente, la tension ne baisse pas. Le 29 novembre 2019, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi cède aux pressions et annonce sa démission. Une première victoire pour les manifestants, après deux mois de contestations meurtrières. Les parlementaires continuent cependant de faire la sourde oreille face aux demandes de la rue qui réclame une refonte complète du système politique. C’est donc sans surprise que Mohammed Taoufiq Allaoui, nommé le 1erfévrier, est fortement rejeté. Choisi par les formations chiites au pouvoir, ses promesses d’organiser des élections anticipées et de lutter contre les ingérences étrangères et la corruption n’ont pas convaincu. Il démissionne le 1ermars.
Adnane Zorfi, nommé le 17 mars, succède brièvement à Allaoui . L’ex-gouverneur de la province de Najat, est un ancien membre du parti Daawa, opposition chiite historique à Saddam Hussein. Accusé d’être pro-américain, il est rapidement poussé vers la sortie par un rare consensus politique contre lui.
Moustafa al-Kazimi
Fin négociateur, al-Kazimi se positionne politiquement comme l’homme du compromis. Son nom avait été évoqué au lendemain des législatives de 2018. Mais jugé alors trop proche des Etats Unis il avait été rejeté par Téhéran. Plus récemment, les factions irakiennes pro-Iran les plus radicales l’ont accusé d’être complice de l’assassinat du général iranien Soleimani début janvier.
Malgré tout, la quasi-totalité des formations politiques ont déjà largement accepté al-Kazimi. Cela, en amont de sa nomination. Après avoir rétabli son image auprès de Téhéran, il a rapidement gagné le soutien des factions chiites pro-Iran du Parlement. Il obtient quelques jours plus tard l’appui des principaux partis kurdes et arabes sunnites.
Le nouveau Premier ministre risque cependant de ne pas obtenir le soutien voulu de la part de la rue. La crise sanitaire liée au Covid-19 a mis le mouvement de protestation entre parenthèses. Malgré cela, le mécontentement populaire continue de monter. Face aux ravages de la pandémie, les autorités n’ont pas réussi à organiser une réponse sanitaire correcte. Les manifestations pourraient donc s’amplifier dès la levée complète du couvre-feu. A cela s’ajoute la récente chute du prix du pétrole qui prive de revenus de nombreux Irakiens .
Comme au Liban, les manifestants demandent une refonte complète du système politique. Ils réclament la fin d’un régime confessionnel et accusé de clientélisme. Mais c’est aussi le rôle des Etats-Unis et l’influence de l’Iran qui sont dénoncés. L’intervention militaire américaine de 2003 avait attisé les rivalités religieuses et ethniques et déclenchée une guerre civile sanglante. L’instabilité avait alors profité à l’Iran qui bénéficie aujourd’hui d’une influence considérable dans le pays. Depuis octobre, les manifestants réclament une réelle souveraineté irakienne.
Bagdad au centre des tensions irano-américaines
Depuis la chute de Saddam Hussein, Bagdad est au cœur de la rivalité irano-américaine. L’attaque de l’ambassade américaine le 31 décembre 2019 s’inscrit dans un contexte de tension accru entre Les Etats-Unis et l’Iran. Elle marque l’intensification des violences. A Washington l’événement a rappelé le spectre des attaques d’ambassades à Téhéran en 1979 et à Benghazi en 2012. La riposte est rapide.
Le 3 janvier 2020, le général iranien Qassem Soleimani et son lieutenant irakien Abou Mehdi al-Mouhandis sont tués dans une frappe américaine. L’annonce fait redescendre des milliers de manifestants dans la rue. Al-Mouhandis était le numéro deux du Hachd al-Chaani, une puissance coalition de milices chiites paramilitaires désormais intégrée à l’appareil de sécurité de l’État irakien.
Depuis octobre, l’armée américaine avait frappé de nombreuses bases du Kataeb Hezbollah, un mouvement proche du Hezbollah pro-iranien. Du camp adverse, on dénombre vingt-trois tirs de roquette contre des installations américaines en Irak. Aucune de ces attaques n’a été revendiquée. Washington accuse cependant le Kataeb Hezbollah.
Vers un départ des troupes américaines?
L’Iran et les Etats-Unis avaient soigneusement évité l’affrontement ces dernières années, en particulier lors des frappes contre l’Etat Islamique. Les tensions n’ont pourtant pas cessé de s’aggraver. Depuis leur retrait d’Irak en 2011, les Etats-Unis ont largement perdu de leur influence dans ce pays. Téhéran contrôle désormais de près le système politique qu’ils avaient installé après la chute de Saddam Hussein.
En janvier, le Parlement irakien a voté en faveur du départ d’Irak des troupes étrangères, dont 5 200 soldats américains. Pourtant, jusqu’en mars, le président Trump continuait de faire la sourde oreille aux demandes de Bagdad sur l’expulsion de ses soldats du sol irakien. La pandémie de Covid-19 a changé la donne. Le retrait précipité des troupes de la coalition internationale anti-Daesh a permis à Washington de se retirer du pays sans perdre la face.
Malgré tout, la pandémie n’a pas changé les équations fondamentales des rivalités régionales. Les tensions persistent entre les dirigeants américains et iraniens. L’Irak s’enfonce dans une crise sociale et financière qui risque de perdurer.