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Chili, 1973 : l’autre 11 septembre

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Il y a 44 ans, le 11 septembre 1973, se produisait au Chili un coup d’État parmi les plus célèbres. Le président socialiste Salvador Allende, élu en 1970, fut renversé par l’armée qui s’empara du palais présidentiel avant qu’Augusto Pinochet ne prenne la tête du pays. Ce dernier prit la tête d’une dictature particulièrement répressive jusqu’en 1990. Retour sur une date-clé de l’histoire latino-américaine contemporaine.

Salvador Allende Gossens

Depuis 1970, le Chili est dirigé par une coalition de socialistes et de communistes, l’Unidad Popular, menée par Salvador Allende, premier président socialiste élu sur le continent américain. Les premières années du gouvernement Allende sont marquées par la nationalisation de la production du cuivre, principale source de revenu du Chili, et du secteur bancaire, ainsi que des réformes agraires et sociales. Particulièrement critique envers les grands groupes étrangers qu’il accuse de nuire aux pays en voie de développement, il s’attire les foudres des milieux d’affaires. Rapidement la situation économique chilienne se détériore de façon spectaculaire, avec une récession de 4% et une inflation à trois chiffres. Isolé diplomatiquement et affaibli par la conjoncture, Allende ne restera finalement que trois ans au palais de la Moneda.

Le coup d’État fut planifié pour le 11 septembre 1973, avec l’appui de la CIA.

Ce coup d’Etat fut préparé (entre autres) par José Toribio Merino et Gustavo Leigh, respectivement vice-amiral de la Marine et commandant de l’Armée de l’air. Le choix de cette date n’est pas anodin, dans la mesure où une grande partie de l’armée chilienne était regroupée à Santiago à cette date pour préparer les célébrations du jour des « Gloires de l’Armée » le 19 septembre. Auparavant, certains auteurs du putsch avaient sollicité l’appui du général Augusto Pinochet, sans que ce dernier n’apporte de réponse définitive. Le 9 septembre, Allende informa aux hauts-gradés de l’armée son intention de recourir à un plébiscite dans l’optique de trouver une solution à la crise politique et économique touchant le pays. Cela poussa finalement Pinochet à apporter son soutien aux putschistes.

Militaires au Stade National de Santiago du Chili

Le soulèvement de l’armée débuta à Valparaíso, le plus grand port du pays, avant de s’étendre au reste du pays. Très tôt, une heure après l’arrivée d’Allende à la Moneda soit 8h30, fut initié le coup d’État, par l’attaque du palais gouvernemental avec l’envoi de soldats. Vers 11h, le président s’exprima à plusieurs reprises à la radio, affirmant sa décision de ne pas abandonner le pouvoir : « De toutes façons, je reste ici dans le Palais du Gouvernement et ici me tiendrai, prêt à défendre ce Gouvernement que je représente par la volonté du peuple […] Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles. J’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas inutile. Et que pour le moins il aura pour sanction morale : la punition de la félonie, de la lâcheté et de la trahison ». Vers midi débutait le bombardement de la Moneda, qui fut incendiée, avant que le corps sans vie de Salvador Allende ne soit retrouvé, à côté de l’arme avec laquelle il s’est probablement suicidé, bien que le doute subsiste quant aux circonstances précises de sa mort.

Aussitôt le coup d’État effectué, une Junte de Gouvernement est mise en place et des milliers de militants soupçonnés d’être communistes sont arrêtés : plusieurs centaines furent enfermés au Stade National de Santiago, qui recevait onze ans auparavant la coupe du monde de football. Dès les premiers jours, le Congrès fut dissous, la Constitution et les partis politiques suspendus, et l’état d’urgence proclamé. Augusto Pinochet devient président de la République l’année suivante, se maintenant au pouvoir jusqu’en 1990, au prix d’une répression particulièrement sévère de l’opposition, avec plusieurs milliers de disparus.

Aujourd’hui encore, la société chilienne est particulièrement divisée au sujet de cet épisode. Si la majorité de la population se révèle critique envers le coup d’État, beaucoup furent ceux qui bénéficièrent du régime et du « miracle économique chilien » pendant les années 1980, à la suite des réformes néo-libérales inspirées des « Chicago Boys ». Alors que le Venezuela traverse une situation de crise proche de celle qu’avait connu le Chili avant le coup d’État, il convient de rappeler que la démocratie ne tient souvent qu’à un fil.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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