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Le pacifisme des Verts allemands et la livraison d’armes en Ukraine

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Défendant une culture de retenue militaire et historiquement pacifistes, les Verts tiennent, depuis la guerre en Ukraine, une position qui apparaît en rupture totale avec leur histoire. En effet, ils soutiennent l’envoi d’armes en Ukraine. Les Verts ont pourtant développé leur politique étrangère sur leur anti-militarisme. Ce revirement questionne sur la stratégie que mettent en place les Verts aujourd’hui. 

L’inscription des Verts dans le pacifisme allemand : un parti aux racines radicales

Joschka Fischer, lors du congrès de Bielefeld en 1999, reçoit une bombe de peinture lancée par des militants pacifistes Verts.

Afin de comprendre les débats liés aux Verts, il faut revenir aux racines historiques de leur parti. Les Verts ont une forte tradition de contestation et de radicalité face aux institutions politiques traditionnelles. Le parti Die Grünen est né dans les années 1970 lors des nouveaux mouvements sociaux en Allemagne. À l’origine profondément hétérogène, il rassemble les courants anti-nucléaires, écologistes et pacifistes radicaux qui rejettent le système politique traditionnel. Tous ces mouvements sont profondément influencés par l’anti-militarisme très présent en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Ce parti se construit sur le rejet du système et avec comme piliers fondamentaux : l’écologie, l’anti-nucléarisme et le pacifisme radical.

Pourtant, en 2022, les Verts se retrouvent pour la seconde fois à jouer un rôle majeur dans la stratégie militaire de l’Allemagne. Cela s’explique par les principes développés par les Verts depuis 1999. Ceux-là justifient la place du militaire dans leur politique idéaliste : l’ultima ratio, la guerre juste et le droit des peuples de se défendre. Ces principes ont justifié l’intervention au Kosovo et justifient aujourd’hui les livraisons d’armes en Ukraine. À la suite de l’invasion russe en 2022, les Verts ont donc rapidement été parmi les plus engagés en faveur des livraisons d’armes à l’Ukraine. Ils ont fait front uni pour défendre leur position.

Le militaire au service de la paix

Les guerres de Yougoslavie, les massacres de Srebrenica de 1995 en particulier, ont posé un dilemme moral aux pacifistes radicaux Verts : user de la force armée ou ne pas réagir face aux violations des droits de l’Homme. La décision de Joschka Fischer d’approuver les bombardements en Serbie déchire le parti sur son pacifisme et son anti-militarisme. En effet, Fischer bouscule le parti avec ses arguments de guerre pour la paix et de guerre contre la guerre.   La notion de « guerre juste » ou de « guerre pour la paix » émerge ainsi pour justifier à la fois le dépassement de la Loi Fondamentale et la tradition pacifiste.

L’ultima ratio, ou dernier recours pour sauvegarder les droits humains

Cette intervention va être fondamentale dans l’histoire des Verts. Elle signe l’adoption de la rhétorique « Plus jamais Auschwitz » et de l’ultima ratio (dernier recours). Ils sont aujourd’hui centraux dans la réponse à la guerre en Ukraine. Ce slogan fait référence au slogan « Plus jamais la guerre ». Popularisé après la Première Guerre mondiale, il souligne la tradition pacifiste de l’Allemagne. « Plus jamais Auschwitz » exprime l’idée que le recours à la force armée n’est pas intrinsèquement un crime s’il permet d’éviter des catastrophes humaines. Il apporte une légitimité morale aux interventions armées là où la Seconde Guerre mondiale avait inscrit une forte méfiance et une retenue à son égard. Le principe du recours à la force militaire comme ultima ratio pour défendre les droits humains a progressivement émergé. Et la radicalité du pacifisme des Verts s’est estompée.

La politique des Verts dans la guerre en Ukraine

Le parti connaît ainsi une acceptation conditionnée du militaire.  Les Verts adoptent une ligne pondérée. Du constat que l’usage de la force armée peut être justifié, ils ont défini le concept de sécurité interconnectée. C’est-à-dire que l’engagement militaire est indissociable de la diplomatie, de l’aide humanitaire et au développement et de la prévention des crises. Ils placent au centre de leur politique étrangère : la recherche de la paix, les droits humains et  la sécurité humaine. Et ils ont comme objectif la protection des individus face aux rivalités de puissance et aux conflits. L’invasion par la Russie a donc constitué le point de rupture dans la politique des Verts concernant la crise ukrainienne. Elle a été l’ultima ratio.  La déclaration ci-dessous d’Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères, illustre ainsi parfaitement le raisonnement dominant aujourd’hui chez les Verts : « Nos livraisons d’armes aident à sauver des vies humaines : une politique étrangère fondée sur les droits de l’Homme [devrait] se demander comment nous pouvons sauver des vies grâce à de nouvelles livraisons.» 

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Marianne

Marianne Görge est diplômée d'un master à l'Institut français de Géopolitique. Elle s'intéresse particulièrement à la géopolitique en Europe ainsi qu'aux problématiques liées à l'aide humanitaire et à l'aide au développement.

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