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Les Ottomans, au carrefour des mondes

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La valse des empires musulmans (8/8). Tant par sa longévité que par sa structure, l’Empire ottoman est l’une des plus puissantes entités qui n’est jamais existé. Créé par des Turcs d’Asie centrale au XVIIIe siècle, il sombre au lendemain de la Première Guerre mondiale en 1923.

L'Empire ottoman, le dernier des empires musulmans.
L’Empire ottoman à son apogée en 1683 (wikimedia).

Au XIe siècle, l’Empire byzantin est affaibli de toute part. Il doit faire face aux croisés, aux chrétiens grecs mais aussi aux turcs seldjoukides arrivant d’Asie centrale. L’Anatolie, qui correspond à une grande partie de la Turquie actuelle, est finalement prise aux Byzantins par le sultanat seldjoukide au XIe siècle. Certains de ces Turcs se sédentarisent et forment une branche indépendante de l’Empire seldjoukide : le sultanat de Rum. Affaiblis par d’interminables batailles contre les croisés, ces mêmes Seldjoukides tombent contre les Mongols au XIIIe siècle. Les tribus qui composaient le sultanat de Rum éclatent alors en une multitude d’entités politiques indépendantes appelées beylicats.

Osman Bey, le fondateur

Un de ces beylicats, au nord-est de l’Anatolie, est créé et dirigé par Osman Bey à partir de 1299. A partir de cette entité, Osman Bey mène une politique de conquête afin d’écraser les tribus voisines. C’est la naissance de l’Empire ottoman, dont le nom découle directement de son fondateur. Son expansion est rapide. Les Ottomans sont des conquérants. Ils s’attaquent aux autres beylicats et les écrasent un par un en alternant batailles classiques et alliances politiques.

Les Ottomans enchaînent les victoires en Anatolie en prenant Brousse (1326), Nicée (1331) ou encore Nicomédie (1337). Une fois l’Anatolie conquise, ils passent en Europe en commençant par Gallipoli en 1347, puis s’étendent dans les Balkans en écrasant les Serbes (1375), le Kosovo (1389), puis la Bulgarie (1396). Une des dernières place fortes de l’Empire byzantin est alors encerclée : la ville de Constantinople.

La prise de Constantinople

Idéalement située sur les rives du Bosphore, la capitale de l’Empire byzantin fait l’objet de plusieurs raids ottomans depuis 1421, mais tous échouent à faire plier la ville. En 1451, un nouveau sultan monte sur le trône. Mehmed II est réputé pour ses talents militaires et diplomatiques. Il conclut tout d’abord des accords avec les Hongrois, les Serbes et les Valaches afin de protéger ses arrières. Il n’a qu’une idée en tête : prendre Constantinople et en faire sa capitale. Mehmed II perçoit en effet l’importance stratégique majeure de la ville située au carrefour de la Méditerranée, de la mer Noire, de l’Europe et de l’Asie. Mehmed se rend aussi bien compte du poids symbolique que représente la ville. Il perçoit Constantinople comme la « nouvelle Rome » et se voit comme le Kayser-i Rum : l’empereur romain. Plus globalement, il souhaite faire de l’Empire ottoman l’héritier de l’Empire byzantin.

Après deux mois de siège intense, la ville s’ouvre enfin aux Ottomans. Constantinople est pillée, une grande partie des habitants sont massacrés. Une fois cet épisode passé, le premier objectif de Mehmed est de repeupler la ville. Il assure une protection aux juifs et aux Grecs orthodoxes qui se sont soumis dès le début du siège pour les encourager à rester dans la cité.

Fin de l’hégémonie turque

Dans son nouveau palais d’Istanbul, Mehmed II met fin à la toute puissance des Turcs dans l’administration en rééquilibrant le pouvoir par l’introduction des « serviteurs » dans la bureaucratie, des enfants chrétiens venus des Balkans et fraîchement convertis à l’islam.

Après Constantinople, les Ottomans prennent la Bosnie en 1462 et l’Albanie en 1479. Les conquêtes se tournent ensuite au XVIe siècle vers les terres originelles de l’islam avec la prise de Damas et du Caire en 1516-1517 sous le règne du sultan Selim Ier (1512-1520), dit le « brave » ou le « terrible ». Bagdad est ensuite prise en 1534. Les troupes ottomanes descendent jusqu’à Aden, au Yémen, en 1534 avant de pousser jusqu’à Tunis en 1574. Le fonctionnement de l’empire est particulier. Très centralisé, il peut projeter sa force militaire rapidement. Sa bureaucratie est cependant faible et une grande autonomie est ainsi accordée aux territoires les plus éloignés.

Soliman, l’apogée ottomane

Le règne le plus long des sultans ottomans est celui de Soliman, dit « le législateur » ou « le magnifique ». Soliman reste au pouvoir 46 ans, de 1520 à 1566 et porte l’empire à son apogée. Les frontières s’étendent du Maroc à la Perse jusqu’aux portes de Vienne. Il propose aussi une forme juridique abouti de l’empire avec un code de loi appelé le Kannuname. Soliman fait également entrer pleinement l’empire dans le jeu des puissances européennes en signant des traités et en concluant des alliances. Il en signe par exemple une avec François Ier afin de contrer leur ennemi commun : Charles Quint.

Le succès des sultans ottomans repose aussi beaucoup sur le rôle qu’ils entretiennent avec la plus puissante des classes militaires, celle des janissaires. Capturés comme esclaves dans les villes chrétiennes conquises à partir du XIVe siècle, âgés de 10 à 15 ans, ils sont formés au combat et forment une classe à part. Certains rejoignent d’ailleurs les plus hautes sphères de l’administration. Ainsi, entre 1453 et 1623, tous les vizirs (à l’exception de cinq) sont des janissaires. Au fil des siècles, le corps devient si puissant que le sultan Mahmoud II le dissout en 1826 après avoir fait assassiner 120 000 janissaires sur les 140 000 répartis dans l’empire.

Une identité complexe et multiforme

S’il est clair que l’Empire ottoman se construit autour d’une identité musulmane sunnite, qui s’oppose d’ailleurs très fortement aux Séfévides chiites durant le XVIe et XVIIe siècle, l’empire doit être analysé comme une entité multiculturelle tri-continentale. Les leaders ont bien conscience que le seul moyen pour survivre et s’étendre est de faire prospérer cette identité particulière tout en la contrôlant. Ainsi, les « gens du livre » non-musulmans, les chrétiens et les juifs, sont assurés d’être protégés au sein de l’empire en échange de leur fidélité et du paiement d’un impôt, la djizia.

Nouvel échec à Vienne, le début du déclin

Se voulant à la base européen, l’empire s’éloigne pourtant de plus en plus de l’Europe. Le nouvel échec de la prise de Vienne, en 1683, peut être analysé comme le début du déclin de l’empire. Les leaders comprennent de moins en moins le fonctionnement des puissances européennes et certaines élites ottomanes occidentalisées recrutées dans les Balkans, aspirent de plus en plus l’indépendance de leur terre d’origine.

L’empire prend conscience de son retard sur l’Europe à la fin du XVIIIe siècle, mais il est déjà trop tard. Ce ne sont pas les réformes de Selim III dit « le réformateur » (1789-1807), ni la période de réorganisation juridique, les Tanzimates (1839-1876) qui puisse stopper la chute inexorable de l’empire. Tout au long du XIXe siècle, « l’homme malade de l’Europe » fait face à des révoltes indépendantistes, comme celle des Serbes (1806-1812) ou celle des Grecs (1821-1829) et perd des territoires face à d’autres puissances, notamment la Russie.

Tentative constitutionnelle

En 1808, un groupe dit des « jeunes turcs » prend le pouvoir à Istanbul et instaure une nouvelle constitution qui met en avant une fraternité ottomane. Le but, donner l’image d’un empire ouvert et moderne, prêt à avancer et à s’insérer pleinement dans le jeu européen. Cependant, l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par Vienne et la déclaration d’indépendance de la Bulgarie déclenche un nationalisme turc exacerbé. Les défaites lors des guerres balkaniques (1912-1913) qui s’ensuivent sonnent le glas de l’Empire ottoman. Après s’être alliés aux Allemands dans un esprit de revanche et s’être fait humilier par les Russes dès le premier hiver de la guerre, l’empire sent sa fin approcher à grand pas. Le génocide des Arméniens, la déportation d’élites arabes et juives et la fuite sur un bateau allemand de hauts dignitaires ottomans en 1918 ne font qu’accélérer sa chute.

Français et Britanniques se partagent les décombres de l’empire lors du traité de Sèvres en 1920. De justesse, et après un dernier combat, l’armée des unionistes emmenée par Mustapha Kemal parvient à faire signer aux Européens un nouveau traité, celui de Lausanne, et proclame la république de Turquie en 1923.

Ressources:

Robert Mantran (dir), « Histoire de l’Empire ottoman», Fayard, 1989.

Hamit Bozarlsan, « Histoire de la Turquie. De l’Empire à nos jours», Tallandier, 2015.

Britannica, « Ottoman Empire », 2018.
https://www.britannica.com/place/Ottoman-Empire

Edhem Eldem, « L’Empire ottoman et la Turquie face à l’Occident », Le Collège de France, 2018.
https://www.college-de-france.fr/site/edhem-eldem/course-2018-2019.htm

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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