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Iran-Arménie : Téhéran s’implante dans le Caucase

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L’Arménie vient d’inaugurer l’ouverture d’une zone franche dans la ville de Meghri, au sud du pays, à la frontière iranienne. Celle-ci, en partenariat avec Téhéran, est le symbole des excellentes relations qu’entretiennent les deux pays depuis les années 90.

Téhéran, un acteur majeur en Arménie

L’Iran et l’Arménie sont deux pays historiquement très liés. Les régions arméniennes ont longtemps été disputées entre les empires persans et les autres : Romains et Parthes, Byzantins et Sassanides, Ottomans et Safavides, Russes et Qajars. La dynastie parthe a notamment eu une influence fondamentale sur l’Arménie : on estime qu’un quart des mots arméniens proviennent du persan parthe. Lorsque cette dynastie s’éteint en Perse au profit des Sassanides, elle perdure encore deux siècles en Arménie sous le nom d’Arsacides. Géographiquement aussi, l’Arménie actuelle est héritière du khanat d’Erevan, région perse jusqu’en 1828 avec le Traité de Turkmenachay (le khanat du Qarabag qui comprenait une forte population arménienne dans sa partie montagneuse, a été annexé en 1813 avec le Traité de Golestan). Bien que l’histoire récente de l’Arménie soit surtout liée à la Russie, l’Iran a donc des raisons historiques de se rapprocher du voisin du nord.

L’indépendance arménienne de 1991 marque une nouvelle coopération. On peut déjà noter que l’Iran administre la mosquée bleue d’Erevan, et d’une certaine façon, l’Islam en Arménie. Celui-ci est ultra-minoritaire parmi les citoyens arméniens, concernant quelques Kurdes sunnites et une poignée d’Azéris qui n’ont pas fui le pays. Le chiffre augmente considérablement si l’on inclut les citoyens iraniens venus travailler en Arménie, souvent en créant de petites entreprises. Leur nombre est estimé à près de 8000. Des célébrations religieuses sont ainsi organisées, comme la commémoration chiite d’Achoura. Récemment, l’Iran s’est impliqué dans la restauration de la mosquée de Chouchi, dans le territoire contesté du Haut Karabagh. Dans ce conflit, la neutralité de l’Iran sonne comme un soutien tacite à l’Arménie face à l’Azerbaïdjan, et le programme de restauration ressemble à une reconnaissance implicite de l’autorité arménienne de facto sur Chouchi.

L’Arménie a également commencé à s’adapter à la population iranienne et notamment au tourisme. Restaurants iraniens et narguilés fleurissent dans le centre-ville de la capitale, tandis que certaines enseignes de magasins, tout comme les panneaux de signalisation de la province frontalière de Syunik, sont écrits en arménien et en farsi. Le tourisme est par ailleurs favorisé avec la libéralisation des visas entre les deux pays, mesure mise en place en 2017. Enfin, la coopération énergétique est fondamentale, l’Iran fournissant du gaz à l’Arménie. Les quantités échangées devraient augmenter d’après des déclarations iraniennes datant du 18 décembre. L’ouverture de la zone franche à Meghri, territoire arménien frontalier de l’Iran, s’inscrit donc dans une forte coopération entre les deux pays. Cette ouverture fait suite à des forums d’entreprises, à de nombreuses rencontres entre dirigeants iraniens et arméniens, et à la participation de Téhéran au projet.

Vers une politique caucasienne

Quel intérêt pour l’Iran de se rapprocher autant de l’Arménie ? Plusieurs raisons à cela. L’Iran, depuis les années 90 cherche à se rapprocher de la Russie, dans un axe Moscou-Teheran qui s’opposerait à Washington. L’influence américaine dans la région date principalement des années 2000, avec notamment la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, reliant la Caspienne à la Méditerranée en évitant soigneusement la Russie (exigence américaine) et l’Arménie (exigence azérie). Pour contrer l’influence américaine et ses alliés Turcs, Géorgiens et Azéris, Téhéran et Moscou avaient intérêt à se rapprocher. L’Arménie représente alors le pont idéal, proche des deux pays politiquement, culturellement et géographiquement. Aujourd’hui, la situation est différente avec le rapprochement Russie-Turquie-Iran, en particulier sur la question syrienne.

Une autre raison est la volonté iranienne de se ré-implanter dans le Caucase. L’Azerbaïdjan aurait pu sembler le meilleur choix pour des raisons culturelles évidentes, à savoir l’Islam chiite et l’identité azérie, première minorité d’Iran. Pourtant, les rivalités entre les deux pays sont importantes. L’Azerbaïdjan se veut un État laïc alors que l’Iran est une République islamique fondée sur une identité chiite militante. Bakou est très proche d’Isral, ainsi que de la Turquie : les dérives panturquistes azéries sont perçues comme une menace par l’Iran, qui craint que ses provinces turcophones du nord militent pour la sécession. Enfin, le partage des ressources gazières de la Caspienne alimente les tensions entre les deux États. Dans ce contexte, l’Arménie est un allié plus docile, un petit débouché pour les exportations iraniennes et une porte d’entrée pour une influence iranienne dans le Caucase, en partenariat plutôt qu’en opposition avec la Russie. Dans la politique caucasienne de l’Iran, Erevan occupe donc une place de choix.

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