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Le sommet de Singapour, point de départ de relations normalisées entre les États-Unis et Corée du Nord ? 1/2

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Après des mois d’escalade et de désescalade autour de la péninsule coréenne, de sommets prévus puis annulés, la rencontre historique a finalement eu lieu entre le président des États-Unis, Donald Trump et le leader de Corée du Nord Kim Jong-un le mardi 12 juin dernier à Singapour. Donald Trump a pris le monde de court en participant au premier sommet bilatéral entre la Corée du Nord et les États-Unis. La Corée du Nord, petit État d’Asie du Nord-Est a enfin obtenu, à coups d’intimidations nucléaires, un sommet bilatéral avec la première puissance mondiale, gage de reconnaissance et de sécurité pour le régime. Quels sont les enjeux et les intérêts de chacun des participants à ce sommet ? Quelles évolutions cet accord peut-il insuffler à une région marquée historiquement par la Guerre froide et par une montée en puissance de la Chine dans le pré-carré américain ? La Corée du Nord pourra-t-elle changer de visage ? Cette rencontre est-elle un tournant significatif pour la paix mondiale ?

Retour sur une année décisive 

Rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un à Singapour, le 12 juin dernier.
Rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un à Singapour, le 12 juin dernier.

L’élection de Donald Trump a radicalement changé la méthode d’approche de l’administration américaine du dilemme nord-coréen. Barack Obama avait opté pour une politique de la « patience stratégique » qui n’a donné que de faibles résultats. Donald Trump, lui, a opté pour la manière forte et une pression maximale envers le régime de Pyongyang qui a multiplié les essais nucléaires et balistiques. Dans cette partie de bluff nucléaire, chacun des acteurs a su doser sa réaction pour éviter le pire et inciter à une évolution de la situation, sans perdre la face.

La pression exercée par la Chine sur la Corée du Nord a été déterminante. Xi Jinping a dû se montrer moins complaisant envers son « allié » et partenaire économique coréen, afin d’appliquer les sanctions onusiennes sous la menace de représailles américaines. De son côté, le Japon, avec la reconduction de Shinzo Abe, a maintenu sa position ferme pour obtenir des garanties de sécurité des Américains en cas de conflit. Le changement de gouvernement en Corée du Sud, passant de la conservatrice Park Geun-hye au plus libéral Moon Jae-in, a remis au goût du jour la « sunshine policy » initiée par Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun de 1999 à 2008. Enfin, la main tendue par la Corée du Sud à Kim Jong-un a permis la participation de la Corée du Nord aux Jeux olympiques de Pyongchang en février 2018 et la première rencontre inter-coréenne depuis huit ans, le 27 avril 2018.

A l’aune de ces diverses avancées, une fenêtre de tir s’est ouverte afin d’organiser une rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump.

Les intérêts divergents des deux participants au sommet de Singapour

Donald Trump est empêtré dans diverses affaires intérieures – les ingérences russes dans la campagne électorale ou encore le scandale lié à la Trump University – qui entachent le début de sa présidence. A cela s’ajoute une gestion erratique de la politique internationale des États-Unis. Tout d’abord le retrait du partenariat transpacifique, signé par Donald Trump dans les premiers jours de sa présidence. Cela a laissé le champs libre à la Chine[1] (alliée historique et de circonstance de Pyongyang) dans une région de première importance pour le commerce mondial. Peu après, Rex Tillerson, le Secrétaire d’État américain (alors en pleine crise coréenne) a été remplacé par Mike Pompeo. A cela s’est ajouté un renforcement des tensions, déjà existantes, avec la Russie qui a entraîné le limogeage du directeur du FBI, James Comey. Ce tableau pourrait faire croire à une perte de leadership américain, d’autant plus que le président Trump a rejeté l’accord sur le nucléaire iranien. Celui-ci reflète plutôt une nouvelle perception des relations internationales et des rapports de forces géopolitiques dictée par son slogan de campagne « America First ». De là découle la nécessité pour les États-Unis de trouver une issue à la crise coréenne de manière à montrer que Trump réussit là où ses prédécesseurs ont échoué.

Concernant le régime de Pyongyang, Kim Jong-un, au pouvoir depuis la mort de son père Kim Jong Il s’est obstiné à poursuivre et à développer les capacités nucléaires du pays par la politique du Byungjin [2] (développement conjoint de l’économie et de l’arme nucléaire). Cela de manière à sanctuariser le territoire nord-coréen, à renforcer la légitimité du leader et son autorité sur l’armée et le parti pour in fine préserver son régime.

Le bluff nucléaire des derniers mois visait à faire monter le niveau de tension entre les deux États, afin d’atteindre un but ultime, recherché depuis longtemps par la dynastie Kim : la reconnaissance internationale face aux États-Unis. L’organisation du sommet bilatéral a donné à la Corée du Nord cette reconnaissance. Toutefois le terrain avait été préparé en amont par Kim Jong-un. Il a annoncé le 23 avril 2018, lors d’une réunion du PTC[3], que le pays allait passer dorénavant d’un développement de l’arme nucléaire et de l’économie [sic, Byungjin], à une priorité simple donnée à l’économie nord-coréenne.

Quelles évolutions attendre de ce sommet ? 

Le contexte international tendu en Asie du Nord-Est puis la surprenante détente entre les deux Corées, doublé d’un besoin pressant des acteurs régionaux de trouver une issue à cette crise, a permis cette rencontre historique avec le président Trump. A l’automne dernier, Donald Trump menaçait la Corée du Nord de « destruction totale » lorsque celle-ci avait démontré par son sixième test qu’elle était désormais en mesure d’atteindre le territoire des États-Unis et ainsi éviter une potentielle attaque américaine.

La Corée du Nord a ainsi rejoint le club très fermé des puissances dotées de l’arme suprême, comme les États-Unis en 1945 la Russie en 1949, le Royaume Uni en 1952, la France en 1960, la Chine en 1964, puis de manière officieuse l’Inde en 1974, Israël en 1979 et le Pakistan en 1998. L’Inde, Israël et le Pakistan n’ont jamais adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Quant à la Corée du Nord, elle s’en est retirée en 2003.

La Corée du Nord, dernière dictature d’inspiration communiste au monde à su se doter au fil des années de l’arme nucléaire et a défié les États-Unis. Cette dernière a obtenu une rencontre avec la première puissance mondial pour négocier un accord d’égal à égal. Cet évènement est à mettre en perspective avec la période qui a précédé, de 1994 jusqu’à aujourd’hui. «De nombreux Coréens se remémorent divers épisodes de tensions avec le Nord, comme la crise nucléaire de 1992 à 1994. Pour rappel la CIA avait accusé la Corée du Nord d’avoir retraité de déchets nucléaires. Les accusations furent démenties par Pyongyang qui menaça de se retirer du TNP[4]. Cela provoqua l’ire des États-Unis qui étaient prêts à attaquer la Corée du Nord »[5].

L’accord signé par Donald Trump et Kim Jong-Un prévoit des garanties de sécurité et réaffirme l’engagement d’une dénucléarisation de la Corée du Nord, sans évoquer de calendrier. Toutefois si cela se concrétise elle ne sera pas entière et effective avant au moins une dizaine d’années, voire plus. Même si les États-Unis défendaient à la base l’idée que la dénucléarisation devait être «complète, vérifiable et irréversible», la position de Trump a évolué, car l’accord ne mentionne pas ces termes[6]. Le président Trump affirme pourtant que le processus de dénucléarisation sera vérifié. Par quel biais ? Rien n’a été mentionné en ce sens, la prudence reste donc de mise. La Corée du Nord cherche peut-être à gagner du temps. Kim Jong-Un a bel et bien signé l’accord. Un tel résultat n’est-il pas à même de bousculer l’appareil d’État nord-coréen, ce qui pourrait créer des tensions en interne ? Donald Trump, lui, a fait un brillant coup de communication médiatique.

Il est encore trop tôt pour dire si le sommet de Singapour, bien que qualifié d’historique, a porté ses fruits. Trop de questions restent encore ouvertes. En effet, les États-Unis se sont certes engagés à fournir des garanties de sécurité à Pyongyang. Les sanctions contre le régime, elles, sont néanmoins toujours en vigueur, comme moyen de pression et d’incitation. Ce sommet peut-il relancer la perspective d’un traité de paix entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, jamais signé à l’issue de la guerre en 1953? Une réduction des effectifs de l’armée américaine en Corée du Sud n’a pas été évoquée. En revanche le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a annoncé « une suspension indéfinie »[7] des exercices militaires conjoints avec l’armée sud-coréenne.

Kim Jong-un a obtenu ce qu’il voulait à l’issue du sommet et se montre de bonne foi. Cela peut masquer d’autres éléments. En interne, le régime de Pyongyang ne semble pas s’orienter vers des réformes ou vers une quelconque ouverture politique[8]. Le renoncement au nucléaire pourrait-il faire douter la population nord-coréenne de son leader[9] ? La Chine en arrière plan a réussi a préserver la stabilité à ses frontières, à faire évoluer Kim Jong-un, qui s’est rendu à Pékin en mai 2018[10], entre le sommet inter-coréen et sa rencontre avec Trump. Est-ce le signe qu’une potentielle évolution du régime de Corée du Nord à long terme est possible, après des décennies de tensions ?

Article co-écrit par Marc-Henri SAILLARD et Raphaëlle MABRU.

[1] « éditorial », politique étrangère, 4, 2017, p.4, en ligne, https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/editorial_pe_ndeg4-2017.pdf.

[2] «“Byungjin » (Parallel Development) », global security, en ligne, <https://www.globalsecurity.org/military/world/dprk/byungjin.htm>.

[3] Parti des Travailleurs de Corée (du Nord).

[4] Traité de Non Prolifération.

[5] Marc-Henri Saillard, « L’Asie du Nord-Est face à la crise coréenne _ enjeux de la relation Sino-Américaine pour le leadership régionale », IRIS, Asia Focus, n°53, pp.14, p.4, 30 novembre 2017, en ligne, <http://www.iris-  france.org/wp-content/uploads/2017/11/Asia-focus-53.pdf>.

[6] « Poignée de main, accord signé… Le file d’une journée historique entre Trump et Kim Jong Un », le figaro, 12 juin 2018, en ligne, <http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/06/12/01016-20180612ARTFIG00069-poignee-de-main-accord-signe-le-fil-d-une-journee-historique-entre-trump-et-kim.php>.

[7] Dorian Malovic,« Corée du Nord – USA : qui paiera le prix du rapprochement ? » les enjeux internationaux, france culture podcats, 15 juin 2018, en ligne, <https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/coree-du-nord-usa-qui-paiera-le-prix-du-rapprochement>.

[8] « North Korea convenes meeting ahead of talks with U.S. to prohibit use of the terms ‘reform and opening’ », daily north korea, 6 juin 2018, en ligne, <http://www.dailynk.com/english/north-korea-convenes-meeting-ahead-of-talks-with-u-s-to-prohibit-use-of-the-terms-reform-and-opening/>.

[9]  Kim Joo Jin, « North Koreans discontent over abandonment of nuclear weapons », daily north korea, 14 juin 2018, en ligne <http://www.dailynk.com/english/north-koreans-discontent-over-abandonment-of-nuclear-weapons/>.

[10] « Kim Jong Un à effectué une deuxième visite en chine », la dépêche, mai 2018, en ligne, <https://www.ladepeche.fr/article/2018/05/08/2793981-kim-jong-un-a-effectue-une-deuxieme-visite-en-chine.html>.

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