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Mark Rutte : quelle politique étrangère néerlandaise entre 2010 et 2023 ? (4/4)

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Le 7 juillet 2023, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a présenté sa démission. Cette décision découle d’une série de désaccords persistants au sein de la coalition gouvernementale parmi lesquels figurent, au premier rang, la politique d’asile. Couramment surnommé “Téflon” pour sa capacité de résilience politique, Mark Rutte se retire finalement après 13 longues années à la tête du gouvernement des Pays-Bas, record de longévité pour le pays. Quel bilan peut-on dresser de la politique étrangère des Pays-Bas durant son passage à la tête du gouvernement néerlandais ?

Les Pays-bas au sein de l’Union européenne

Historiquement, les Pays-Bas occupent une position cruciale dans la construction européenne. Aux côtés de l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, la France, l’Italie et le Luxembourg, ils participent à l’élaboration du Traité de Rome (1957), texte fondateur de la Communauté économique européenne (CEE). 

L'Union européenne des Vingt-Sept. Via Wikimédia.
L’Union européenne des Vingt-Sept. Via Wikimédia.

Trente-cinq années plus tard, en 1992, douze pays, dont les Pays-Bas, signent le Traité de Maastricht (1992), érigeant ainsi les bases de l’Union européenne (UE) telle que nous la connaissons aujourd’hui. 

Malgré les élargissements successifs, les Pays-Bas demeurent toujours aujourd’hui un acteur européen de premier plan. Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne a renforcé leur position.

En 2023, ils se positionnent comme la cinquième plus grande puissance européenne. De plus, le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, détient actuellement le second mandat le plus long (13 ans) au sein de l’UE, derrière le Hongrois Viktor Orban.

Mark Rutte et l’Union européenne

Lorsque Mark Rutte prend la tête des Pays-Bas, il découvre une Europe en proie à d’intenses tensions politico-économiques. Les répercussions de la crise financière de 2008 touchent de nombreux pays européens, les contraignant à s’endetter. La crise des dettes souveraines de la zone euro s’installe progressivement au sein de l’Union européenne. À l’échelle nationale, Mark Rutte entreprend diverses mesures visant à ramener les Pays-Bas dans les critères du Traité de Maastricht. Il promeut activement l’application des politiques d’austérité qu’il met en œuvre aux Pays-Bas à l’échelle de l’UE. 

Néanmoins, face à des politiques européennes qu’il estime préjudiciables pour les Pays-Bas, Mark Rutte n’hésite pas à fermement exprimer son opposition. Ses prises de positions à propos de la crise de la dette grecque peuvent en témoigner. 

D’une manière générale, Mark Rutte s’emploie à défendre les valeurs fondamentales de l’Union européenne. Il n’hésite pas à remettre ouvertement en question la place de pays pouvant enfreindre les principes fondateurs européens. En 2021, le Premier ministre néerlandais déclare, par exemple, que « La Hongrie n’a plus rien à faire dans l’UE ». Selon Mark Rutte, le pays ne respecte pas plusieurs valeurs essentielles de l’UE, dont l’État de droit. 

Par ailleurs, Mark Rutte s’oppose également à un élargissement trop rapide de l’Union. Contrairement à la France ou l’Allemagne, il n’est « pas du tout d’accord » avec l’ambition de 2030. Deux problématiques principales semblent motiver son opposition : l’infrastructure européenne actuelle, jugée peu adaptée à une organisation élargie, et la nécessité de garantir le respect des valeurs fondamentales de l’UE au sein des pays candidats à l’intégration. 

Dernièrement, Mark Rutte propose de redéfinir les principaux objectifs européens en mettant l’accent sur le développement de la sécurité collective ou la lutte contre le changement climatique. Sur ce dernier point, il estime notamment que l’Union européenne n’est pas assez ambitieuse. Le Premier ministre néerlandais aspire à servir d’exemple à travers les récentes politiques environnementales mises en place aux Pays-Bas.

Mark Rutte, chef de file des pays frugaux

En 2018, un nouveau terme émerge afin de qualifier un ensemble de huit pays (Finlande, Danemark, Estonie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas et Suède) partageant une vision commune de l’Union économique et monétaire (UEM) : la Ligue hanséatique. À travers une déclaration commune, les ministres des Finances définissent six points de vue et valeurs partagées. Le respect des règles assurant une uniformité et stabilité de la situation économique des États membres en fait notamment partie.

Dans le contexte de l’Union européenne, un autre terme fréquemment utilisé qualifie quatre pays unis par une importante rigueur budgétaire : les pays frugaux. Aux côtés du Danemark, de la Suède et de l’Autriche, les Pays-Bas de Mark Rutte intègrent ce groupe. La Finlande y est également régulièrement associée. En dépit des divergences politiques, ces nations présentent comme principal point commun d’avoir les plus importantes contributions par habitant au budget européen et d’être hostiles à une hausse de leur dépense européenne. 

Mark Rutte, Emmanuel Macron, Angela Merkel et les dirigeants du Mercosur et de l'Union Européenne réunis pour une conférence, au Japon, en 2019.
Mark Rutte, Emmanuel Macron, Angela Merkel et les dirigeants du Mercosur et de l’Union européenne réunis pour une conférence, au Japon, en 2019. Via Wikimedia.

Pendant la pandémie de la COVID-19, les pays frugaux se font remarquer par leur opposition au plan de relance européen. Au cours des pourparlers, Mark Rutte, surnommé « Mr no, no, no », s’impose à la tête des pays frugaux. Il s’oppose fermement à Emmanuel Macron (France) et Angela Merkel (Allemagne).

Les principaux points de désaccord concernent les modalités de l’endettement européen et de la contribution au remboursement des États membres ainsi que le montant global du plan de relance. 

Finalement, les pays frugaux approuvent Next Generation EU dont le montant total s’élève à 750 milliards d’euros, en 2020. Néanmoins, Mark Rutte obtient certaines concessions telles que la possibilité de suspendre les versements à un État membre en cas de non-respect de l’État de droit.

La politique migratoire des Pays-Bas sous Mark Rutte, quel rôle pour l’UE ?

À l’échelle européenne, Mark Rutte plaide en faveur d’une organisation supranationale de la question de l’immigration. En 2015, il souligne : « L’Empire romain nous l’a montré et nous le savons tous, les grands empires s’écroulent si les frontières ne sont pas bien protégées ». Le Premier ministre néerlandais ne prône pas une diminution ou un arrêt de l’immigration. Il souhaite le renforcement des capacités de contrôle et de gestion des flux migratoires au sein de l’Union.

Au cours des dernières années, malgré les divergences d’opinions au sein de l’UE, des avancées significatives sont en cours avec le Pacte sur la migration et l’asile. Ce dernier ambitionne de remodeler le système actuel pour approfondir la solidarité entre les États membres de l’UE. Il vise aussi à intensifier les contrôles aux frontières européennes par le biais d’un premier filtrage, ainsi qu’à mettre en place une procédure améliorée pour le retour et la réadmission des individus concernés. 

Sur le plan national, l’immigration semble indispensable aux Pays-Bas, en particulier pour garantir le bon fonctionnement du marché du travail. Néanmoins, elle contribue également à la surpopulation croissante du pays. Les Pays-Bas se classent parmi les pays les plus densément peuplés au monde. En conséquence, les délais d’attente pour l’obtention de logements étudiants, par exemple, sont considérables et en constante augmentation.

En 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie accroît l’importance de la gestion de l’immigration dans les pays européens. Les Pays-Bas n’y font pas exception. Un grand nombre d’Ukrainiens arrivent en Europe pour fuir le conflit en cours. Le 7 juillet 2023, la démission de Mark Rutte découle notamment de désaccords concernant la politique d’asile néerlandaise. La proposition du Premier ministre visant à durcir la politique d’accueil des réfugiés ne fait pas l’unanimité au sein de la coalition gouvernementale.

Quelle place occupent les Pays-Bas de Mark Rutte dans les relations russo-ukrainiennes ?

Au cours de ces treize années à la tête des Pays-Bas, Mark Rutte est confronté à plusieurs événements majeurs mêlant la Russie et l’Ukraine. 

En février 2014, la Fédération de Russie procède à l’annexion de la péninsule de Crimée, une action non reconnue par la communauté internationale qui entraîne son exclusion du G8.

Un sommet exceptionnel est organisé à La Haye, aux Pays-Bas, pour échanger des sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine. Bien qu’officiellement non convié à la conférence, Mark Rutte prend part à plusieurs réunions. 

Le 7 juillet 2014, un Boeing 777 effectuant le vol MH17 d’Amsterdam vers Kuala Lumpur est abattu en plein vol. Aucun des passagers ne survit à l’attaque. Les causes de cette tragédie ne sont établies qu’en 2018. Les enquêteurs internationaux (JIT) entérinent la responsabilité de la Russie en concluant que le missile tiré provient d’une brigade anti-aérienne russe.

Malgré le démenti de Vladimir Poutine, les relations russo-néerlandaises se tendent considérablement. Parmi les 298 passagers à bord, 196 étaient néerlandais. Mark Rutte affirme que « la Russie est bel et bien responsable du déploiement de ce missile ». 

Mark Rutte et le Président Ukrainien Volodymyr Zelensky, en 2022.
Mark Rutte et le Président ukrainien Volodymyr Zelensky, en 2022. Via WIkimedia.

En 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie déclenche un nouveau conflit aux portes de l’Europe. Les relations entre les dirigeants européens et la Russie de Vladimir Poutine se détériorent à nouveau.

Tout en reconnaissant la complexité d’un embargo économique russe, notamment sur le gaz et le pétrole, Mark Rutte évoque l’importance de prendre rapidement des sanctions à l’échelle européenne envers la Russie. Parallèlement, les Vingt-sept pays membres de l’Union européenne approuvent une aide de 50 milliards d’euros à destination de l’Ukraine. 

Aux côtés du Danemark, les Pays-Bas de Mark Rutte apportent une aide supplémentaire à l’Ukraine. Ils s’engagent à fournir 61 avions de combat F-16 et à former les pilotes ukrainiens à leur utilisation. 

Les relations internationales des Pays-Bas sous Mark Rutte

Les relations interétatiques néerlandaises connaissent également des changements significatifs au sein des gouvernements Rutte. Le Premier ministre n’hésite pas à faire preuve d’une grande fermeté dans ses prises de positions publiques. 

En 2017, par exemple, les relations entre les Pays-Bas et la Turquie s’enlisent dans une crise diplomatique. Les autorités néerlandaises refusent la venue de ministres turcs sur le territoire pour promouvoir la réponse positive au référendum d’extension des pouvoirs du président Erdoğan. Ignorant les demandes des Pays-Bas, le ministre des Affaires étrangères est interdit d’atterrissage dans le pays. Une ministre turque est aussi exclue du territoire. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan qualifie la politique néerlandaise de « vestiges du nazisme ». Des propos jugés « inacceptables » par Mark Rutte qui toutefois cherche à « apaiser les événements ». 

En début d’année 2022, sur l’invitation du Président Recep Tayyip Erdoğan, Mark Rutte se rend en Turquie afin d’échanger à propos des relations turco-néerlandaises et des questions internationales telles que le conflit en Ukraine. 

Les Pays-Bas et Mark Rutte ont également récemment attiré l’attention dans leurs prises de décisions concernant le conflit israélo-palestinien. En effet, le Tribunal de La Haye a condamné la livraison de pièces et d’équipements pour les avions de chasse F-35 israéliens. L’attitude du Premier ministre, jugée trop favorable à l’État hébreu, est aussi remise en cause par une partie de l’opinion publique néerlandaise. 

Enfin, au début d’année 2023, les Pays-Bas et le Japon décident de restreindre les exportations de semi-conducteurs vers la Chine. Cette initiative intervient alors que les Pays-Bas abritent l’un des principaux acteurs du marché des machines de photolithographie : ASML. Cette décision survient après de longues années de négociation de la part de Joe Biden et des États-Unis, dont l’objectif est de limiter les avancées technologiques chinoises, en particulier dans le domaine militaire.

Les interventions de l’armée néerlandaise dans le monde

À l’échelle internationale, les Pays-Bas sont militairement actifs dans diverses régions du monde. Ils n’hésitent pas à s’engager au sein de coalitions internationales pour intervenir dans des conflits en cours. 

Avion de combat F-16 de la Royal Netherlands Air Force. Via Wikimedia.
Avion de combat F-16 de la Royal Netherlands Air Force. Via Wikimedia.

Cependant, certaines opérations militaires suscitent particulièrement l’attention médiatique.

Le 3 juin 2015, par exemple, la Royal Netherlands Air Force (l’armée de l’air néerlandaise) mène une frappe aérienne sur Hawija, en Irak.

Le bombardement néerlandais cible des installations d’armements du groupe terroriste État Islamique (EI). Cette frappe provoque une explosion qui anéantit presque entièrement une zone résidentielle avoisinante, entraînant la mort de 70 civils. 

Mark Rutte souligne à plusieurs reprises l’importance militaire des États-Unis et de l’OTAN, pour l’Union européenne. Il est sceptique quant à une défense européenne autonome, déclarant que : « En ce qui me concerne, penser que l’Union européenne peut garantir sa sécurité sans l’OTAN est une illusion ». Malgré cela, les Vingt-sept avancent progressivement vers une défense commune. La création du Fonds européen de défense, doté d’un budget de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027 peut en témoigner. Ce dernier vise à financer la recherche et le développement de programmes industriels européens dans le domaine de la défense. 

Le 17 février 2022, Mark Rutte reconnaît, pour la première fois, le passé colonial des Pays-Bas, le qualifiant de « crime contre l’humanité ». Le Premier ministre présente également ses excuses pour la « violence extrême » perpétrée par l’armée néerlandaise pendant la guerre d’indépendance de l’Indonésie (1945-1949).

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Esteban MORON

est étudiant à Kedge Business School. Passionné par la géopolitique, il s'intéresse notamment aux relations internationales de l'Union européenne et de ses pays membres.

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