Inflation et taux d’intérêt en Europe (2/2)
Dans le premier article, nous avons éclairci le lien qui existait entre la hausse des taux d’intérêt en Europe et l’inflation. Basé sur une théorie vieille de plus d’un siècle mais aux apports contemporains nombreux, ce lien devient de plus en plus complexe à appréhender avec les récents chocs conjoncturels.
La crise sanitaire porte un coup à l’équation monétaire
Nous l’avons vu sur les dernières années : le monde et l’Europe connaissent des bouleversements majeurs. Le premier est venu de la crise sanitaire. Ainsi, sur l’année 2020 et le premier semestre 2021, on observe des taux d’inflation dans la zone euro inférieurs à 2 %. Ceux-ci deviennent même négatifs d’août à décembre 2020. Pour remédier à cela et afin de relancer la demande, la Banque centrale européenne (BCE) a alors largement mis en place une politique dite de Quantitative Easing. Autrement dit, elle a racheté des titres de dette publique et privée à hauteur de 1850 milliards d’euros à des taux très faibles pour que les États et les entreprises membres de la zone euro puissent investir massivement et soutenir la demande. Cette politique s’est également accompagnée d’une baisse du taux directeur de la BCE et de facilités d’accès aux crédits pour les ménages européens.
Cependant, si l’on suit la théorie quantitative de la monnaie, on devrait alors voir le taux d’inflation exploser une fois la crise terminée. Or, début 2021, ce n’est pas du tout le cas. On observe plutôt des taux d’inflation inférieurs au seuil des 2 % sur le premier semestre de la même année. Mais que s’est-il donc passé ? La réponse est en fait assez simple et elle tient en un sigle : BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). En effet, l’émergence de pays comme le Brésil, l’Inde et surtout la Chine ont eu pour effet d’augmenter l’offre à destination de l’Europe beaucoup plus vite que la demande. La Chine notamment dispose de surcapacités de production, avec un prix du travail défiant encore à ce jour toute concurrence européenne. Elle est donc à même d’inonder les marchés occidentaux de biens peu coûteux et ainsi de concurrencer les entreprises européennes.
La guerre en Ukraine marque le retour d’un seuil inflationniste contesté
Il faudra attendre la montée des tensions entre l’Ukraine et la Russie durant le dernier semestre de 2021 pour voir l’inflation repartir à la hausse sur les denrées alimentaires et l’énergie. C’est aussi à ce moment-là que la BCE se décida à remonter petit à petit son taux directeur jusqu’à atteindre le niveau historique de 4 % fin 2023.
Face à cette intransigeance, nombreuses sont les voix s’élevant en faveur d’un seuil revu à la hausse. A titre d’exemple, le prix Nobel d’économie Paul Krugman statuait en 2022 pour un objectif d’inflation relevé autour des 4 % (pour le cas de la Federal Reserve, FED, dont la BCE s’inspire), défendant le fait que cela permet de « lubrifier » l’économie et faciliter les ajustements économiques lors des périodes de récession.
Voilà donc pourquoi, au cours de ces deux dernières années, l’emprunt en Europe est devenu de plus en plus cher. Si le récent choc de la crise sanitaire a prêté à confusion de par ses risques déflationnistes, c’est la BCE qui est rassurée de voir que sa politique monétaire peut encore exclusivement se reposer sur une équation quelque peu poussiéreuse et un seuil contestable. D’ici là, avec des prises de position européennes timides sur le conflit israélo-palestinien, la menace d’un nouveau choc pétrolier plane. Celui-ci viendrait alors enfoncer le clou de l’inflation et probablement alarmer la BCE sur sa politique monétaire, marquant une hausse encore plus forte des taux d’intérêt.