L’évolution de la politique étrangère américaine : de la neutralité à l’implication mondiale
McDougall* identifie deux principales traditions qui ont influencé la politique étrangère américaine. La première, de 1776 à 1890, relativement isolationniste, insiste sur la position privilégiée des Etats-Unis comme « terre promise », cette « shining city on a hill » qui doit être protégée du reste du monde. La seconde, de 1890 à nos jours, plus interventionniste, confie aux Etats-Unis la mission d’apporter la démocratie, la liberté, et les droits de l’homme au reste du monde. Paradoxale, parfois contradictoire, l’objet de la diplomatie américaine oscille entre la protection des intérêts et la promotion de valeurs.
Avant 1890, l’Amérique prêche les vertus de la liberté et de l’unilatéralisme, et refuse de laisser le monde, hostile, decider de son destin. Ainsi, selon McDougall, « la politique étrangère existait pour défendre, et non définir, les Etats-Unis ». L’unilatéralisme n’a cependant jamais été un isolationnisme, en témoignent les flux de capitaux aux Etats-Unis (entre 1820 et 1850, les importations américaines ont quadruplées), et de travail (bien que la fertilité américaine fut prodigieuse, la croissance a largement bénéficié des 4 millions d’immigrants recensés en 1860). En fait, « la grande règle », selon George Washington était qu’« en étendant [leurs] relations commerciales, [ils n’aient] avec [les nations étrangères] aussi peu de liens politiques possibles » (1796). Ainsi Monroe, devant le Congrès en 1823, interdit toute intervention européenne dans les affaires américaines et réciproquement, notamment toute nouvelle colonisation du continent américain. Mais cette doctrine est équivoque (corollaire Roosevelt) : défend-elle l’idéal, la sécurité et le commerce des Etats-Unis, ou ne sert-elle en fait qu’à écarter les Européens de son continent pour mieux le contrôler ? Puisque l’expansionnisme, implicite dans la doctrine, devient explicite dans les actes, elle est justifiée comme la mission divine de répandre la démocratie et la civilisation, et comme prolongement du principe de liberté (les barrières et contraintes à l’expansion semblent intolérables).
Le véritable tournant est le Traité de Paris en 1898. Il clôt la guerre hispanico-américaine, mais surtout, dresse les Etats-Unis au rang de puissance coloniale (avec Porto-Rico, Cuba, les Philippines). Les Etats-Unis commencent à considérer leurs principes et leurs institutions comme universels, et disent, avec Wilson, intervenir non pas pour la conquête, mais au nom de l’humanité, pour diffuser la démocratie et favoriser un monde plus sûr et prospère. Si l’entre-deux-guerres signe un repli protectionnisme mondial, et notamment aux Etats-Unis (Smoot-Hawley Tariff Act), l’attaque de Pearl Harbor sonne le glas de la neutralité américaine, et oblige les Etats-Unis à assumer complètement le leadership mondial. Avec le plan Marshall, les Etats-Unis tentent de reconstruire le monde qui rentre dans ses rangs, mais se heurtent inexorablement au mur communiste. Les Etats-Unis sont à l’origine de nombreuses institutions internationales (ONU, FMI, GATT), qu’ils pilotent dans l’ombre, afin de redoubler la légitimité de leur leadership et d’assoir leur puissance. Pendant la guerre froide, plutôt que de « refouler » (rollback) le communisme, et d’arrêter rapidement une URSS qui menace de devenir plus forte, la diplomatie américaine suit Kennan** et tente de contenir sa progression (containment), pensant que la contradiction était davantage intrinsèque au système communiste. La politique étrangère américaine perd néanmoins de sa splendeur au Vietnam, avec « l’effet CNN », qui met au grand jour le décalage entre les paroles et les actes du gouvernent américain. Mais avec la chute de l’URSS, les Etats-Unis deviennent l’hyperpuissance, dans un monde désormais unipolaire, qui ouvre de nouvelles opportunités pour diffuser la démocratie et la liberté. Clinton parle même de « nation indispensable », qui certes échoue en Somalie, mais réussit ensuite en Yougoslavie. Pourtant, le 11 septembre 2001, cette hyperpuissance est frappée au coeur, marquant l’emergence nouvelle d’acteurs non-étatiques agressifs en quête d’armes de destruction massive (Al Qaeda), ce qui pousse Bush à combattre l’ « Axe du Mal » (2002).
Si l’Amérique n’est plus l’hyperpuissance d’antan, et qu’un monde multipolaire ne semble plus vouloir suivre aveuglement les Etats-Unis, dont la puissance relative diminue avec l’émergence de nouvelles puissances (Chine par exemple), l’ordre international, chaque jour menacé (nucléaire iranien, impérialisme russe, conflits en Asie), pourrait pâtir d’un manque de leadership. Si l’on peut croire que « l’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète » (Paul Morand), il semble, cependant, que cet apparent retour isolationniste de la politique étrangère américaine cache sa mutation, qui suit l’évolution de l’ordre international.
*Walter A. McDougall, Promised Land, Crusader State: The American Encounter with the World since 1776 (1997).
**George Frost Kennan : diplomate et historien américain, père du mot « containment », ancien Ambassadeur en Union Soviétique.